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Tandis que la vie de l’imagination est si développée chez les enfans, la vie du sentiment est-elle plus tardive ? Je ne me souviens pas d’avoir songé à ma sœur, à ma bonne tante, à Pierret ou à ma chère Clotilde, durant mon séjour à Madrid. J’étais pourtant déjà capable d’aimer, puisque j’avais déjà une si vive tendresse pour certaines poupées et pour certains animaux. Je crois que l’indifférence avec laquelle les enfans quittent les personnes qui leur sont chères tient à l’impossibilité où ils sont d’apprécier la durée du temps. Quand on leur parle d’un an d’absence, ils ne savent pas si un an est beaucoup plus long qu’un jour, et on leur établirait inutilement la différence par des chiffres. Je crois que les chiffres ne disent rien du tout à leur esprit. Lorsque ma mère me parlait de ma sœur, il me semblait que je l’avais quittée la veille, et pourtant le temps me semblait long. Il y a dans le défaut d’équilibre des facultés de l’enfant mille contradictions qu’il nous est difficile d’expliquer après que l’équilibre est établi.

Je crois que la vie du sentiment ne se révéla à moi qu’au moment où ma mère accoucha à Madrid. On m’avait bien annoncé l’arrivée prochaine d’un petit frère ou d’une petite sœur, et depuis plusieurs jours je voyais ma mère étendue sur une chaise longue. Un jour on m’envoya jouer sur la terrasse et on ferma les portes vitrées de l’appartement.

Je n’entendis pas la moindre