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avec leur nez grillé touchant la terre, que de tout ce que j’aurais pu imaginer.

Je ne me fis pas, pour cela, une idée nette de la mort, et il me fallut un autre spectacle pour comprendre ce que c’était. J’avais pourtant tué beaucoup de monde dans mes romans entre quatre chaises, et dans mes jeux militaires avec Clotilde. Je connaissais le mot et non la chose, j’avais fait la morte moi-même sur le champ de bataille avec mes compagnes amazones, et je n’avais senti aucun déplaisir d’être couchée par terre et de fermer les yeux pendant quelques instans. J’appris tout de bon ce que c’est, dans une autre auberge, où l’on m’avait donné un pigeon vivant, sur quatre ou cinq que l’on destinait à notre dîner ; car, en Espagne, c’est, avec le porc, le fond de la nourriture des voyageurs, et, en ce temps de guerre et de misère, c’était du luxe que d’en trouver à discrétion. Ce pigeon me causa des transports de joie et de tendresse. Je n’avais jamais eu un si beau joujou, et un joujou vivant, quel trésor ! Mais il me prouva bientôt qu’un être vivant est un joujou incommode, car il voulait toujours s’enfuir, et aussitôt que je lui laissais la liberté pour un instant, il s’échappait, et il me fallait le poursuivre dans toute la chambre. Il était insensible à mes baisers, et j’avais beau l’appeler des plus doux noms, il ne m’entendait pas. Cela me lassa, et je demandai où l’on avait mis les autres pigeons.