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de ces enfans : c’est une manie, mais cela me fait mal de voir par terre ces bras, ces jambes et toutes ces guenilles rouges. » Nous ne nous rendions pas compte de notre férocité, tant les poupées et les bonshommes souffraient patiemment ce carnage. Mais en galopant sur nos coursiers imaginaires, et en frappant de nos sabres invisibles les meubles et les jouets, nous nous laissions emporter à un enthousiasme qui nous donnait la fièvre. On nous reprochait nos jeux de garçons, et il est certain que ma cousine et moi, nous avions l’esprit avide d’émotions viriles. Je me retrace particulièrement un jour d’automne où, le dîner étant servi, la nuit s’était faite dans la chambre. Ce n’était pas chez nous, mais, à Chaillot, chez ma tante, à ce que je puis croire, car il y avait des rideaux de lit, et chez nous il n’y en avait pas. Nous nous poursuivions l’une l’autre à travers les arbres, c’est-à-dire sous les plis des rideaux, Clotilde et moi.

L’appartement disparut à nos yeux, et nous étions véritablement dans un sombre paysage à l’entrée de la nuit. On nous appelait pour dîner et nous n’entendions rien. Ma mère vint me prendre dans ses bras pour me porter à table, et je me rappellerai toujours l’étonnement où je fus en voyant les lumières, la table et les objets réels qui m’environnaient. Je sortais positivement d’une hallucination complète, et il me coûtait d’en sortir si brusquement. Quelquefois