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sans pouvoir m’y soustraire. Il me semble même que cette illusion était un des pâles amusemens de ma captivité dans le berceau et cette vie du berceau m’apparaît extraordinairement longue, et plongée dans un mol ennui.

Ma mère s’occupa de fort bonne heure de me développer, et mon cerveau ne fit aucune résistance, mais il ne devança rien, et il eût pu être fort tardif, si on l’eût laissé tranquille. Je marchais à dix mois. Je parlai assez tard ; mais une fois que j’eus commencé à dire quelques mots, j’appris tous les mots très vite, et, à quatre ans, je savais très bien lire, ainsi que ma cousine Clotilde, qui fut enseignée comme moi par nos deux mères alternativement. On nous apprenait aussi des prières, et je me souviens que je les récitais, sans broncher, d’un bout à l’autre, et sans y rien comprendre, excepté ces premiers mots de la dernière prière qu’on nous faisait dire quand nous avions la tête sur le même oreiller, ce qui nous arrivait souvent : « Mon Dieu, je vous donne mon cœur. » Je ne sais pas pourquoi je comprenais cela plus que le reste, car il y a beaucoup de métaphysique dans ce peu de paroles ; mais enfin je le comprenais, et c’était le seul endroit de ma prière où j’eusse une idée de Dieu et de moi-même. Quant au Pater, au Credo et à l’Ave Maria que je savais très bien en français, excepté donnez-nous notre pain de chaque jour, j’aurais aussi bien pu les réciter en latin,