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tromper, comme un véritable écolier, la surveillance burlesque du bourru. Un matin, il s’esquive de leur commun logement, et va rejoindre Victoire dans le jardin du Palais-Royal, où ils s’étaient donné rendez-vous pour déjeuner ensemble chez un restaurateur. À peine se sont-ils retrouvés, à peine Victoire a-t-elle pris le bras de mon père, que Deschartres, jouant le rôle de Méduse, se présente au devant d’eux. Maurice paie d’audace, fait bonne mine à son argus, et lui propose de venir déjeûner en tiers. Deschartres accepte. Il n’était pas épicurien, pourtant il aimait les vins fins et on ne les lui épargna point. Victoire prit le parti de le railler avec esprit et douceur, et il parut s’humaniser un peu au dessert ; mais quand il s’agit de se séparer, mon père voulant reconduire son amie chez elle, Deschartres retomba dans ses idées noires, et reprit tristement le chemin de son hôtel garni.

Le séjour de Charleville parut fort maussade à mon père jusqu’au moment où son amie vint s’y établir chez d’honnêtes bourgeois où elle payait une modique pension. Elle passait auprès d’eux pour être mariée secrètement avec mon père, mais elle ne l’était pas encore. Dès ce moment ils ne se quittèrent presque plus, et se regardèrent comme liés l’un à l’autre.

Ma bonne grand’mère ignorait tout cela. De temps en temps Deschartres, toujours aux aguets,