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voyait frappé par des mains sacriléges, tombant de lassitude et d’épuisement au bord des chemins, et forcé de se relever et de se traîner sous le bâton du caporal autrichien.

Le pauvre Deschartres s’efforçait vainement de la distraire. Outre qu’il n’y entendait rien et que personne n’était plus alarmiste par tempérament, il était si triste lui-même, que c’était pitié de les voir remuer des cartes le soir sur une table à jeu, sans savoir ce qu’ils faisaient et sans savoir lequel des deux avait gagné ou perdu la partie.

Enfin, vers la fin de ventose, Saint-Jean arriva au pas de course. Ce fut peut-être la seule fois de sa vie qu’il oublia d’entrer au cabaret en sortant de la poste. Ce fut peut-être aussi la seule fois qu’à l’aide de son éperon d’argent il mit au galop ce paisible cheval blanc qui a vécu presque aussi longtemps que lui. Au bruit inusité de sa démarche triomphante, ma grand’mère tressaillit, courut à sa rencontre et reçut la lettre suivante :


LETTRE XV.

« Conegliano, le 6 ventose an IX (février 1801).

« Enfin, je suis hors de leurs mains ! Je respire ! Ce jour est pour moi celui du bonheur et de la liberté ! J’ai l’espoir certain de te revoir, de t’embrasser dans peu, et tout ce que j’ai souffert est oublié. Dès ce moment, tous mes