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d’une manière déplorable. Je ne fais point ici de l’histoire officielle ; je renverrai mon lecteur au récit de M. Thiers, historien éminent des événemens militaires, toujours clair, précis, attachant et fidèle. Il servira de caution aux accusations portées par mon père contre le général qui, en cette circonstance, fit plus que des fautes : il commit un crime. Il laissa une partie de son armée abandonnée, sans secours, dans une lutte inégale contre l’ennemi, et son inertie fut l’entêtement cruel de l’amour-propre. Mécontent de l’ardeur qui avait emporté le général Dupont à franchir le fleuve avec 10,000 hommes, il empêcha Suchet de lui donner un secours suffisant : et si ce dernier, voyant le corps de Dupont aux prises avec trente mille Autrichiens et en grand danger d’être écrasé malgré une défense héroïque, n’eût enfreint les ordres de Brune et envoyé de son chef le reste de la division Gazan au secours de ces braves gens, notre aile droite était perdue. Cette barbarie, ou cette ineptie du général en chef coûta la vie à plusieurs milliers d’intrépides soldats et la liberté à mon père. Entraîné par sa bravoure et trop confiant dans son étoile (c’était le prestige du moment, et sans songer à imiter Bonaparte, chacun se croyait protégé comme lui par sa destinée) il fut pris par les Autrichiens, accident plus redouté à la guerre que les blessures graves, et presque plus attristant que la mort pour des jeunes gens ivres de gloire et d’activité.