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Comme ils étaient contens, ces bons bourgeois, ces grands enfans émancipés de la veille, de tutoyer la modeste châtelaine de Nohant, et de traiter de Piaron tout court, l’ex-seigneur, celui qu’ils avaient appelé naguère M. le comte de Serennes ! Ma grand’mère en souriait et ne s’en trouvait point offensée. Mais elle remarquait que les paysans ne tutoyaient point ces messieurs, et elle savait gré à son menuisier de la tutoyer sans façons. Elle y voyait une préférence d’amitié dont elle jouissait avec un peu de malice.

Un jour qu’elle était avec son fils dans la maisonnette de ce menuisier, alors percepteur de sa commune, républicain hardi et intelligent, qui fut pendant toute sa vie notre ami dévoué, et dont j’ai reçu le dernier soupir, deux bourgeois de la Châtre passèrent devant la porte, fort avinés, et trouvèrent brave d’insulter une femme et un enfant, de les menacer de la guillotine, et de se donner des airs de Robespierre au petit pied, eux qui mentalement, avec toute leur caste, venaient de tuer Robespierre et la révolution. Mon père, qui n’avait que seize ans, se précipita vers eux, saisit un de leurs chevaux à la bride, et les somma de descendre pour se battre avec lui.

Godard, le menuisier-percepteur, vint à son aide, armé d’un grand compas dont il voulait, disait-il, mesurer ces messieurs. Les messieurs ne répondirent point à la provocation et piquèrent des deux.

Ils étaient ivres, c’est ce qui les