Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/132

Cette page n’a pas encore été corrigée

insu, de ces petites recherches de la civilisation qu’elle n’aurait point trouvées alors à Passy, ou qu’elle n’eût pu s’y procurer sans donner l’éveil aux voisins.

Il maudit son inspiration en voyant qu’elle allait devenir funeste à l’objet de ses soins ; mais incapable de temporiser, il se leva au milieu du bateau, grossissant sa voix, montrant les poings et menaçant de jeter dans la rivière quiconque insulterait sa commère. Les hommes ne firent que rire de ses bravades, mais le batelier lui dit d’un ton dogmatique : « Nous éclaircirons cette affaire-là au débarqué ».

Et les femmes de crier bravo et de menacer avec énergie les aristocrates déguisés.

Déjà le gouvernement révolutionnaire se relâchait ouvertement du rigoureux système de la veille, mais le peuple n’abjurait pas encore ses droits et était tout prêt à se faire justice lui-même.

Alors ma grand’mère, par une de ces inspirations du cœur qui sont si puissantes chez les femmes, alla s’asseoir entre deux véritables commères qui l’injuriaient vivement ; et, leur prenant les mains : « Aristocrate ou non, leur dit-elle, je suis une mère qui n’a pas vu son fils depuis six mois, qui a cru qu’elle ne le reverrait jamais, et qui va l’embrasser au risque de la vie. Voulez-vous me perdre ! Eh bien ! dénoncez-moi, tuez-moi au retour si vous voulez, mais ne m’empêchez pas de voir mon fils aujourd’hui ; je remets mon sort entre vos mains. » — « Va !