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supérieurs à moi-même, de personnages de romans en un mot. Je sentais qu’il ne faut parler de soi au public qu’une fois en sa vie, très sérieusement, et n’y plus revenir.

Quand on s’habitue à parler de soi, on en vient facilement à se vanter, et cela, très involontairement, sans doute, par une loi naturelle de l’esprit humain, qui ne peut s’empêcher d’embellir et d’élever l’objet de sa contemplation. Il y a même de ces vanteries naïves dont on ne doit pas s’effrayer lorsqu’elles sont revêtues des formes du lyrisme, comme celles des poètes, qui ont, sur ce point, un privilége spécial et consacré. Mais l’enthousiasme de soi-même qui inspire ces audacieux élans vers le ciel n’est pas le milieu où l’ame puisse se poser pour parler longtemps d’elle-même aux hommes. Dans cette excitation, le sentiment de ses propres faiblesses lui échappe. Elle s’identifie avec la Divinité, avec l’idéal qu’elle embrasse : s’il se trouve en elle quelque retour vers le regret et le repentir, elle l’exagère jusqu’à la poésie du désespoir et du remords ; elle devient Werther, ou Manfred, ou Faust, ou Hamlet, types sublimes au point de vue de l’art, mais qui, sans le secours de l’intelligence philosophique, sont devenus parfois de funestes exemples ou des modèles hors de portée.

Que ces grandes peintures de plus puissantes émotions de l’ame des poètes restent pourtant à jamais vénérées ! et disons bien vite qu’on doit