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à cette peste des écoles, il est impossible qu’il ait conservé la chasteté de l’imagination et la sainte ignorance de son âge. En outre, il nourrit une haine sournoise contre les camarades qui ont voulu l’égarer, ou contre les geôliers qui l’oppriment. Il est laid, même lorsque la nature l’a fait beau ; il porte un vilain habit, il a l’air honteux et ne vous regarde point en face. Il dévore en secret de mauvais livres, et pourtant la vue d’une femme lui fait peur. Les caresses de sa mère le font rougir. On dirait qu’il s’en reconnaît indigne. Les plus belles langues du monde, les plus grands poèmes de l’humanité, ne sont pour lui qu’un sujet de lassitude, de révolte et de dégoût ; nourri, brutalement et sans intelligence, des plus purs alimens, il a le goût dépravé et n’aspire qu’au mauvais. Il lui faudra des années pour perdre les fruits de cette détestable éducation, pour apprendre sa langue en étudiant le latin qu’il sait mal et le grec qu’il ne sait pas du tout, pour former son goût, pour avoir une idée juste de l’histoire, pour perdre ce cachet de laideur qu’une enfance chagrine et l’abrutissement de l’esclavage ont imprimé sur son front, pour regarder franchement et porter haut la tête. C’est alors seulement qu’il aimera sa mère ; mais déjà les passions s’emparent de lui, et il n’aura jamais connu cet amour angélique dont je parlais tout à l’heure et qui est comme une pause pour l’ame de l’homme, au sein d’une oasis enchanteresse, entre l’enfance et la puberté.

Ceci n’est point une conclusion que je prends contre l’éducation universitaire. En principe, je reconnais les avantages de l’éducation en commun. En fait, telle qu’on la pratique aujourd’hui, je n’hésite pas à dire que tout vaut mieux, en fait d’éducation, même celle des enfans gâtés à domicile.

Au reste, il ne s’agit pas ici de conclure sur un fait particulier. Une éducation comme celle que reçut mon père ne saurait servir de type. Elle fut à la fois trop belle et