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des accès de piété tendre et exaltée. Elle ne rencontrait jamais Mme Canning dans les cloîtres sans se mettre à genoux devant elle et lui demander sa bénédiction. La bonne religieuse, qui était pleine d’esprit et de savoir-vivre, la consolait et la fortifiait contre les terreurs de la mort, l’emmenait dans sa cellule et la prêchait sans l’épouvanter, trouvant en elle une belle et bonne ame où rien ne la scandalisait. C’est elle-même qui a raconté cela à ma grand’mère devant moi, lorsque j’étais au couvent, et qu’au parloir elles repassaient ensemble les souvenirs de cette étrange époque.

Au milieu d’un si grand nombre de détenues souvent renouvelées par le départ[21] des unes et l’arrestation des autres, si Marie-Aurore de Saxe et Victoire Delaborde ne se remarquèrent pas, il n’y a rien d’étonnant. Le fait est que leurs souvenirs mutuels ne datèrent point de cette époque. Mais qu’on me laisse faire ici un aperçu de roman. Je suppose que Maurice se promenât dans le cloître, tout transi et battant la semelle contre le mur en attendant l’heure d’embrasser sa mère ; je suppose aussi que Victoire errât dans le cloître et remarquât ce bel enfant ; elle qui avait déjà dix-neuf ans ; elle eût dit, si on lui eût appris que c’était là le petit-fils du maréchal de Saxe : — « Il est joli garçon : quant au maréchal de Saxe, je ne le connais pas. » — Et je suppose encore qu’on eût dit à Maurice : « Vois cette pauvre jolie fille qui n’a jamais entendu parler de ton aïeul, et dont le père vendait des oisillons en cage, c’est ta future femme… » je ne sais ce qu’il eût répondu alors ; mais voilà le roman engagé.


[21] Départ signifiait là alors la guillotine.

Qu’on n’y croie pas, pourtant. Il est possible qu’ils ne se soient jamais rencontrés dans ce cloître, et il n’est pourtant