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Alors tous deux, dans le plus complet silence, se mettent à l’œuvre. L’examen des papiers continue et marche rapidement ; on brûle à mesure ; mais quoi ! quatre heures sonnent : il faudra plus d’une heure pour refermer les portes et replacer les scellés. La moitié de la besogne n’est pas faite, et à cinq heures le citoyen Leblanc est invariablement debout.

Il n’y a pas à hésiter. Maurice fait comprendre à son ami, par signes, qu’il faudra revenir la nuit suivante. D’ailleurs cette malheureuse petite Nérina, qu’il a eu soin d’enfermer dans sa chambre, et qui s’ennuie d’être seule, commence à gémir et à hurler. On referme tout, on laisse les scellés brisés dans l’intérieur, et on se contente de réparer celui de l’entrée principale qui donne sur le grand escalier. Mon père tient la bougie et présente la cire. Deschartres, qui a pris l’empreinte des cachets, se tire de l’opération avec la prestesse et la dextérité d’un homme qui a fait des opérations chirurgicales autrement délicates. Ils rentrent chez eux et se recouchent tranquilles pour eux-mêmes, mais non pas rassurés sur le succès de leur entreprise ; car on peut venir dans la journée pour lever les scellés à l’improviste, et tout est resté en désordre dans l’appartement. D’ailleurs les principales pièces de culpabilité n’ont pas encore été retrouvées et anéanties.

Heureusement cette terrible journée d’attente s’écoula sans catastrophe. Mon père porta Nérina chez un ami, Deschartres acheta pour mon père des pantoufles de lisière, graissa les portes de leur appartement, mit en ordre ses instrumens, et n’essaya pas de changer l’héroïque résolution de son élève. Lorsqu’il me racontait cette histoire, vingt-cinq ans plus tard : « Je savais bien, disait-il, que si nous étions surpris, Mme Dupin ne me pardonnerait jamais d’avoir laissé son fils se précipiter dans un pareil danger : mais avais-je le droit d’empêcher un bon fils