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avait le don de rendre ennuyeuses des choses plus intéressantes, l’enfant bâillait et s’endormait debout.

— Monsieur l’abbé, lui dit-il un jour naïvement et sans malice, est-ce que quand je me battrai pour tout de bon, ça m’amusera davantage ?

— Je ne le crois pas, mon ami, répondit Deschartres ; mais il se trompait. Mon père eut de bonne heure l’amour de la guerre et même la passion des batailles. Jamais il ne se sentait si à l’aise, si calme et si doucement remué intérieurement que dans une charge de cavalerie.

Mais ce futur brave fut d’abord un enfant débile et terriblement gâté. On l’éleva, à la lettre, dans du coton, et comme il fit une maladie de croissance, on lui permit d’en venir à cet état d’indolence, qu’il sonnait un domestique pour lui faire ramasser son crayon ou sa plume. Il en rappela bien, Dieu merci, et l’élan de la France, lorsqu’elle courut aux frontières, le saisit un des premiers, et fit de sa subite transformation un miracle entre mille.

Quand la révolution commença à gronder, ma grand’mère, comme les aristocrates éclairés de son temps, la vit approcher sans terreur. Elle était trop nourrie de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau pour ne pas haïr les abus de la cour. Elle était même des plus ardentes contre la coterie de la reine, et j’ai trouvé des cartons pleins de couplets, de madrigaux et de satires sanglantes contre Marie-Antoinette et ses favoris. Les gens comme il faut copiaient et colportaient ces libelles. Les plus honnêtes sont écrits de la main de ma grand’mère, peut-être quelques-uns sont-ils de sa façon : car c’était du meilleur goût de composer quelque épigramme sur les scandales triomphans, et c’était l’opposition philosophique du moment qui prenait cette forme toute française. Il y en avait vraiment de bien hardies et de bien étranges. On mettait dans la bouche du peuple et on rimait dans l’argot des halles des chansons inouïes sur