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Elle prit, pour faire l’éducation de son fils, un eune homme que j’ai connu vieux, et qui a été aussi mon précepteur. Ce personnage, à la fois sérieux et comique, a tenu trop de place dans notre vie de famille et dans mes souvenirs, pour que je n’en fasse pas une mention particulière.

Il s’appelait François Deschartres, et comme il avait porté le petit collet en qualité de professeur au collége du cardinal Lemoine, il entra chez ma grand’mère avec le costume et le titre d’abbé. Mais, à la révolution, qui vint bientôt chicaner sur toute espèce de titres, l’abbé Deschartres devint prudemment le citoyen Deschartres. Sous l’empire, il fut M. Deschartres, maire du village de Nohant ; sous la restauration, il eût volontiers repris son titre d’abbé, car il n’avait pas varié dans son amour pour les formes du passé. Mais il n’avait jamais été dans les ordres, et d’ailleurs il ne put se délivrer d’un sobriquet que j’avais attaché à son omnicompétence et à son air important : on ne l’appelait plus dès lors que le grand homme.

Il avait été joli garçon, il l’était encore lorsque ma grand’mère se l’attacha : propret, bien rasé, l’œil vif, et le mollet saillant. Enfin, il avait une très bonne tournure de gouverneur. Mais je suis sûre que jamais personne, dans son meilleur temps, n’avait pu le regarder sans rire, tant le mot cuistre était clairement écrit dans toutes les lignes de son visage et dans tous les mouvemens de sa personne.

Pour être complet, il eût dû être ignare, gourmand et lâche. Mais loin de là, il était fort savant, très sobre et follement courageux. Il avait toutes les grandes qualités de l’ame jointes à un caractère insupportable et à un contentement de lui-même qui allait jusqu’au délire. Il avait les idées les plus absolues, les manières les plus rudes, le langage