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hésita longtemps à faire cette alliance, non que l’âge de M. Dupin fût une objection capitale, mais parce que son entourage, à elle, le tenait pour un trop petit personnage à mettre en regard de Mademoiselle de Saxe, comtesse de Horn. Le préjugé céda devant des considérations de fortune, M. Dupin étant fort riche à cette époque. Pour ma grand’mère, l’ennui d’être séquestrée au couvent dans le plus bel âge de sa vie, les soins assidus, la grâce, l’esprit et l’aimable caractère de son vieux adorateur, eurent plus de poids que l’appât des richesses ; après deux ou trois ans d’hésitation, durant lesquels il ne passa pas un jour sans venir au parloir déjeuner et causer avec elle, elle couronna son amour et devint madame Dupin[1].

Elle m’a souvent parlé de ce mariage si lentement pesé et de ce grand-père que je n’ai jamais connu. Elle m’a dit

    beaucoup avec lui ; il daignait avoir de la bonté pour moi. C’est un des malheurs qui m’accablent dans ma vieillesse, de voir que la fille du héros de la France n’est pas heureuse en France. Si j’étais à votre place, j’irais me présenter à Mme la duchesse de Choiseul. Mon nom me ferait ouvrir les portes à deux battants, et madame la duchesse de Choiseul, dont l’âme est juste, noble et bienfesante, ne laisserait pas passer une telle occasion de faire du bien. C’est le meilleur conseil que je puisse vous donner, et je suis sûr du succès quand vous parlerés. Vous m’avés fait, sans doute, trop d’honneur, madame, quand vous avés pensé qu’un vieillard moribond, persécuté et retiré du monde serait assés heureux pour servir la fille de M. le maréchal de Saxe. Mais vous m’avés rendu justice en ne doutant pas du vif intérêt que je dois prendre à la fille d’un si grand homme. « J’ai l’honneur d’être avec respect,

    « Madame,

    « Votre très humble et très obéissant serviteur,

    « Voltaire, gentilhomme ord* de la chambre du Roy. »

  1. Il paraît qu’il y eut quelque opposition, je ne sais de quelle part, car ils allèrent se marier en Angleterre, dans la chapelle de l’ambassade, et firent ratifier ensuite leur union à Paris.