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HISTOIRE DE MA VIE

pinion publique, ceux-là ne devraient pas agir contre son sentiment et sa pensée, en frappant d’estoc et de taille autour de lui. La tâche d’un écrivain en pareil cas est celle d’un ami, et les amis ne doivent pas manquer aux égards qui sont, après tout, de morale publique. Mon mari est vivant et ne lit ni mes écrits ni ceux qu’on fait sur mon compte. C’est une raison de plus pour moi de désavouer les attaques dont il est l’objet à propos de moi. Je n’ai pu vivre avec lui, nos caractères et nos idées différaient essentiellement. Il avait des motifs pour ne point consentir à une séparation légale, dont il éprouvait pourtant le besoin, puisqu’elle existait de fait. Des conseils imprudents l’ont engagé à provoquer des débats publics qui nous ont contraints à nous accuser l’un l’autre. Triste résultat d’une législation imparfaite et que l’avenir amendera. Depuis que la séparation a été prononcée et maintenue, je me suis hâtée d’oublier mes griefs, en ce sens que toute récrimination publique contre lui me semble de mauvais goût, et ferait croire à une persistance de ressentiments dont je ne suis pas complice.

Ceci posé, on devine que je ne transcrirai pas dans mes Mémoires les pièces de mon procès. Ce serait me faire ma tâche trop pénible que d’y donner place aux rancunes puériles et aux souvenirs amers. J’ai beaucoup souffert de tout cela ; mais je n’écris pas pour me plaindre et pour me faire consoler. Les douleurs que j’aurais à raconter à propos d’un fait purement personnel n’auraient aucune utilité générale. Je ne raconterai que celles qui peuvent atteindre tous les hommes. Encore une fois donc, amateurs de scandale, fermez mon livre dès la première page, il n’est pas fait pour vous.

Ceci est probablement tout ce que j’aurai à conclure de mon mariage, et je l’ai dit tout de suite pour obéir à un arrêt de ma conscience. Il n’est pas prudent, je le sais, de