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Grâce à un ordre admirable et à une grande résignation aux habitudes modestes qu’il lui fallut prendre, elle fit face à tout, et je lui ai souvent entendu dire en riant qu’elle n’avait jamais été aussi riche que depuis qu’elle était pauvre.

Je dirai quelques mots de cette terre de Nohant où j’ai été élevée, où j’ai passé presque toute ma vie et où je souhaiterais pouvoir mourir.

Le revenu en est peu considérable, l’habitation est simple et commode. Le pays est sans beauté, bien que situé au centre de la vallée Noire, qui est un vaste et admirable site. Mais précisément cette position centrale dans la partie la plus nivelée et la moins élevée du pays, dans une large veine de terre à froment, nous prive des accidens variés et du coup d’œil étendu dont on jouit sur les hauteurs et sur les pentes. Nous avons pourtant de grands horizons bleus et quelque mouvement de terrain autour de nous, et, en comparaison de la Beauce et de la Brie, c’est une vue magnifique ; mais, en comparaison des ravissans détails que nous trouvons en descendant jusqu’au lit caché de la rivière, à un quart de lieue de notre porte, et des riantes perspectives que nous embrassons en montant sur les coteaux qui nous dominent, c’est un paysage nu et borné.

Quoi qu’il en soit, il nous plaît et nous l’aimons.

Ma grand’mère l’aima aussi, et mon père y vint chercher de douces heures de repos à travers les agitations de sa vie. Ces sillons de terres brunes et grasses, ces gros noyers tout ronds, ces petits chemins ombragés, ces buissons en désordre, ce cimetière plein d’herbes, ce petit clocher couvert de tuiles, ce porche antique, ces grands ormeaux délabrés, ces maisonnettes de paysan entourées de leurs jolis enclos, de leurs berceaux de vigne et de leurs vertes chenevières, tout cela devient doux à la vue et cher à la pensée quand on a vécu si longtemps dans ce milieu calme, humble et silencieux.