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en composer qui me parurent admirables, mais qui ne valaient rien et manquaient d’originalité. Roger, qui commençait à taper très-adroitement sur son piano et qui avait du goût, ne se gêna pas pour me dire que je n’y entendais rien, et se borna à admirer la patience de mon travail de luthier.

Je pris le goût des échecs avec l’abbé qui venait le soir me donner des leçons. Il me trouvait des dispositions, mais je ne réussis jamais à le battre. Enfin j’arrivai à prendre le goût d’écrire et j’essayai de composer des romans. Ce fut un amusement très-énergique, mais très-douloureux pour moi. Je retombais toujours dans les faits de ma vie personnelle. Je prenais le goût et le maniement de la forme, mais je n’avais pas d’imagination. Je ne pouvais rien supposer, rien deviner en dehors de ma propre expérience.

Un jour, — c’était en 1855, par une belle soirée de juin, je me rappellerai toujours cette date, qui apporta tant de changement dans mon existence morale, — j’étais au bout de mon courage. En proie à un véritable accès de spleen, je revenais d’une ferme où ma surveillance m’avait appelé, et je me dirigeais vers mon pavillon, où l’on m’apportait régulièrement des repas que je ne mangeais plus. Je suivais une falaise assez escarpée, et à chaque pas je me disais :

— Pourquoi vivre avec cette maladie incurable ? Il serait si facile d’en finir !