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à donner le spleen. La barque nous attend ; venez vous établir à la Spezzia.

— Non, dit Thérèse, je reste ici, moi.

— Comment ? qu’est-ce donc ? du dépit entre nous ?

— Non, non, mon cher Dick, reprit-elle en lui tendant la main : avec vous, je n’en veux jamais avoir. Oh

! faites, je vous en supplie, que notre affection soit un idéal de sincérité, car j’y veux, quant à moi, faire tout ce qui est possible à une âme croyante ; mais je ne vous savais pas jaloux, vous l’avez été et vous en convenez. Eh bien, sachez qu’il n’est pas en mon pouvoir de ne pas souffrir cruellement de cette jalousie. C’est tellement le contraire de ce que vous m’aviez promis, que je me demande où nous allons maintenant, et pourquoi il faut qu’au sortir d’un enfer, j’entre dans un purgatoire, moi qui n’aspirais qu’au repos et à la solitude.

« Ces nouveaux tourments qui semblent se préparer, ce n’est pas pour moi seule que je les redoute ; s’il était possible qu’en amour l’un des deux fût heureux quand l’autre souffre, la route du dévouement serait toute tracée et facile à suivre ; mais il n’en est pas ainsi, vous le voyez bien : je ne puis avoir un instant de douleur que vous ne le ressentiez. Me voilà donc entraînée à gâter votre vie, moi qui voulais rendre la mienne inoffensive, et je commence à faire un malheureux ! Non, Palmer, croyez-moi ; nous pensions nous connaître, et nous ne nous connaissions pas. Ce qui m’avait charmé en vous, c’est une disposition d’esprit que vous n’avez déjà plus, la confiance. Ne comprenez-vous pas qu’avilie comme je l’étais il me fallait cela pour vous aimer, et rien autre chose ? Si je subissais maintenant votre affection avec des taches et des faiblesses, avec des doutes et des orages, ne seriez-vous pas en droit de vous dire que je fais un calcul en vous épousant ? Oh ! ne dites pas que cette idée ne vous viendra jamais ; elle vous viendra malgré vous. Je sais trop comment d’un soupçon on passe à un autre, et quelle pente rapide nous emporte d’un premier désenchantement à un dégoût injurieux ! Or, moi, tenez, j’en ai assez bu, de ce fiel ! je n’en veux plus, et je ne m’en fais pas accroire, je ne suis plus capable de subir ce que j’ai subi ; je vous l’ai dit dès le premier jour, et, si vous l’avez oublié, moi, je m’en souviens. Éloignons donc cette idée de mariage, ajouta-t-elle, et restons amis. Je reprends provisoirement ma parole, jusqu’à ce que je puisse compter sur votre estime, telle que je croyais la posséder. Si vous ne voulez pas vous soumettre à une épreuve, quittons-nous tout de suite. Quant à moi, je vous jure que je ne veux rien vous devoir, pas même le plus léger service, dans la position où je suis. Cette position, je veux vous la dire, car il faut que vous compreniez ma volonté. Je me trouve ici logée et nourrie sur parole, car je n’ai absolument rien, j’ai tout confié à Vicentino pour les frais du voyage de Laurent ; mais il se trouve que je sais faire de la dentelle plus vite et mieux que les femmes du pays, et, en attendant que je reçoive de Gênes l’argent qui m’est dû, je peux gagner ici, au jour le jour, de quoi, sinon récompenser, du moins défrayer ma bonne hôtesse de la très-frugale nourriture qu’elle me fournit. Je n’éprouve ni humiliations, ni souffrance de cet état de choses, et il faut qu’il dure jusqu’à ce que mon argent arrive. Je verrai alors quel parti j’ai à prendre. Jusque-là, retournez à la Spezzia, et venez me voir quand vous voudrez ; je ferai de la dentelle, tout en causant avec vous.

Palmer dut se soumettre, et il se soumit de bonne grâce. Il espérait regagner la confiance de Thérèse, et il sentait bien l’avoir ébranlée par sa faute.




X


Quelques jours après, Thérèse reçut une lettre de Genève. Laurent s’y accusait par écrit de tout ce dont il s’était accusé en paroles, comme s’il eût voulu consacrer ainsi le témoignage de son repentir.

« Non, disait-il, je n’ai pas su te mériter. J’ai été indigne d’un amour si généreux, si pur et si désintéressé. J’ai lassé ta patience, ô ma sœur, ô ma mère ! Les anges aussi se fussent lassés de moi ! Ah ! Thérèse, à mesure que je reviens à la santé et à la vie, mes souvenirs s’éclaircissent, et je regarde dans mon passé comme dans un miroir qui me montre le spectre d’un homme que j’ai connu, mais que je ne comprends plus. À coup sûr, ce malheureux était en démence ; ne penses-tu pas, Thérèse, que, marchant vers cette épouvantable maladie physique dont tu m’as sauvé par miracle, j’ai pu,