Page:Sand - Elle et Lui.djvu/84

Cette page n’a pas encore été corrigée

et le corps. Vous avez remporté la victoire. Il est sauvé ; votre pauvre enfant ! À présent, que voulez-vous faire ?

— Le quitter pour toujours, répondit Thérèse, ou, du moins, ne le revoir qu’après des années. S’il retourne en France, je reste en Italie, et, s’il reste en Italie, je retourne en France. Ne vous ai-je pas dit que telle était ma résolution ? C’est parce qu’elle est bien arrêtée que je retardais encore le moment des adieux. Je savais bien qu’il y aurait une crise inévitable, et je ne voulais pas le laisser sur cette crise-là, si elle était mauvaise.

— Y avez-vous bien songé, Thérèse ? dit Palmer rêveur. Êtes-vous bien sûre de ne pas faiblir au dernier moment ?

— J’en suis sûre.

— Cet homme-là me parait irrésistible dans la douleur. Il arracherait la pitié des entrailles d’une pierre, et pourtant, Thérèse, si vous lui cédez, vous êtes perdue, et lui avec vous. Si vous l’aimez encore, songez que vous ne pouvez le sauver qu’en le quittant !

— Je le sais, répondit Thérèse ; mais que me dites-vous donc là, mon ami ? Êtes-vous malade, vous aussi ? Avez-vous oublié que ma parole vous était engagée ?

Palmer lui baisa la main et sourit. La paix rentra dans son âme.

Laurent vint leur dire, le lendemain, qu’il voulait aller en Suisse pour achever de se rétablir. Le climat de l’Italie ne lui convenait pas : c’était la vérité. Les médecins lui conseillaient même de ne pas attendre les grandes chaleurs.

De toute façon il fut décidé que l’on se séparerait à Florence. Thérèse n’avait d’autre projet arrêté pour elle-même que d’aller où Laurent n’irait pas ; mais, en le voyant si fatigué de la crise de la veille, elle dut lui promettre de passer à Florence encore une semaine, afin de l’empêcher de partir sans avoir recouvré les forces nécessaires.

Cette semaine fut peut-être la meilleure de la vie de Laurent. Généreux, cordial, confiant, sincère, il était entré dans un état de l’âme où il ne s’était jamais senti, même durant les premiers huit jours de son union avec Thérèse. La tendresse l’avait vaincu, pénétré, on peut dire envahi. Il ne quittait pas ses deux amis, se promenant avec eux en voiture aux Cascines, aux heures où la foule n’y va pas, mangeant avec eux, se faisant une joie d’enfant d’aller dîner dans la campagne en donnant le bras à Thérèse alternativement avec Palmer, essayant ses forces en faisant un peu de gymnastique avec celui-ci, accompagnant Thérèse avec lui au théâtre, et se faisant tracer par Dick le grand touriste l’itinéraire de son voyage en Suisse. C’était une grande question de savoir s’il irait par Milan ou par Gênes. Il se décida enfin pour cette dernière voie, en prenant par Pise et Lucques, et en suivant ensuite le littoral par terre ou par mer, selon qu’il se sentirait fortifié ou affaibli par les premières journées du voyage.

Le jour du départ arriva. Laurent avait fait tous ses préparatifs avec une gaieté mélancolique. Étincelant de plaisanteries sur son costume, sur son bagage, sur la tournure hétéroclite qu’il allait avoir avec un certain manteau imperméable que Palmer l’avait forcé d’accepter et qui était alors une nouveauté dans le commerce, sur le baragouin français d’un domestique italien que Palmer lui avait choisi et qui était le meilleur homme du monde ; acceptant avec reconnaissance et soumission toutes les prévisions et toutes les gâteries de Thérèse, il avait des larmes plein les yeux, tout en riant aux éclats.

La nuit qui précéda le dernier jour, il eut un léger accès de fièvre. Il en plaisanta. Le voiturin qui devait le conduire à petites journées était à la porte de l’hôtel. La matinée était fraîche. Thérèse s’inquiéta.

— Accompagnez-le jusqu’à la Spezzia, lui dit Palmer. C’est là qu’il doit s’embarquer, s’il ne supporte pas bien la voiture. C’est là que je vous rejoindrai le lendemain de son départ. Il vient de me tomber sur la tête une affaire indispensable qui me retient ici vingt-quatre heures.

Thérèse, surprise de cette résolution et de cette proposition, refusa de partir avec Laurent.

— Je vous en supplie, lui dit Palmer avec quelque vivacité ; il m’est impossible d’aller avec vous !

— Fort bien, mon ami, mais il n’est pas nécessaire que j’aille avec lui.

— Si fait, reprit-il, il le faut.

Thérèse crut comprendre que Palmer jugeait cette épreuve nécessaire. Elle s’en étonna et s’en inquiéta.

— Pouvez-vous, lui dit-elle, me donner votre parole d’honneur que vous avez effectivement une affaire importante ici ?

— Oui, répondit-il, je vous la donne.

— Eh bien, je reste.