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affreuse nuit. Il le pensait dans ce moment-là, ou plutôt il parlait sans en avoir conscience. Il ne se rappela rien quand il eut dormi dessus, et, si on le lui eût rappelé, il eût tout désavoué.

Mais il y avait une chose vraie, c’est que, pour le moment, il était las de l’amour élevé, et aspirait de tout son être aux funestes enivrements du passé. C’était le châtiment de la mauvaise voie qu’il avait prise en entrant dans la vie, châtiment bien cruel sans doute, et dont on conçoit qu’il se plaignit avec énergie, lui qui n’avait rien prémédité et qui s’était jeté en riant dans un abîme d’où il croyait pouvoir aisément sortir quand il voudrait. Mais l’amour est régi par un code qui semble reposer, comme les codes sociaux, sur cette terrible formule : Nul n’est censé ignorer la loi ! Tant pis pour ceux qui l’ignorent en effet ! Que l’enfant se jette dans les griffes de la panthère, croyant pouvoir la caresser : la panthère ne tiendra compte de cette innocence ; elle dévorera l’enfant, parce qu’il ne dépend pas d’elle de l’épargner. Ainsi des poisons, ainsi de la foudre, ainsi du vice, agents aveugles de la loi fatale que l’homme doit connaître ou subir.

Il ne resta dans la mémoire de Laurent, au lendemain de cette crise, que la conscience d’avoir eu avec Thérèse une explication décisive, et le vague souvenir de l’avoir vue résignée.

— Tout est peut-être pour le mieux, pensa-t-il en la retrouvant aussi calme qu’il l’avait quittée.

Il fut pourtant effrayé de sa pâleur.

— Ce n’est rien, lui dit-elle tranquillement ; ce rhume me fatigue beaucoup,

mais ce n’est qu’un rhume. Cela doit faire son temps.

— Eh bien, Thérèse, lui dit-il, qu’y a-t-il d’établi dans nos rapports, à présent ? Y avez-vous réfléchi ? C’est vous qui déciderez. Devons-nous nous quitter avec dépit ou rester ensemble sur le pied de l’amitié comme autrefois ?

— Je n’ai aucun dépit, répondit-elle ; restons amis. Demeurez ici si vous vous y plaisez. Moi, j’achève mon travail, et je retourne en France dans quinze jours.

— Mais, d’ici à quinze jours dois-je aller demeurer dans une autre maison ? ne craignez-vous pas qu’on n’en jase ?

— Faites ce que vous jugerez à propos. Nous avons ici nos appartements indépendants l’un de l’autre ; le salon seul est commun : je n’en ai aucun besoin ; je vous le cède.

— Non, c’est moi qui vous prie de le garder. Vous ne m’entendrez pas aller et venir ; je n’y mettrai jamais les pieds, si vous me le défendez.

— Je ne vous défends rien, répondit Thérèse, sinon de croire un seul instant que votre maîtresse puisse vous pardonner. Quant à votre amie, elle est au-dessus d’une certaine sphère de désillusions. Elle espère encore pouvoir vous être utile, et vous la retrouverez toujours quand vous aurez besoin d’affection.

Elle lui tendit la main et s’en alla travailler.

Laurent ne la comprit pas. Tant d’empire sur elle-même était une chose qu’il ne pouvait s’expliquer, lui qui ne connaissait pas le courage passif et les résolutions muettes. Il crut qu’elle comptait reprendre son empire sur lui et qu’elle voulait le ramener à l’amour par l’amitié. Il se promit d’être invulnérable à toute faiblesse, et, pour être plus sûr de lui-même, il résolut de prendre quelqu’un à témoin de la rupture consommée. Il alla trouver Palmer, lui confia la malheureuse histoire de son amour et ajouta :

— Si vous aimez Thérèse comme je le crois, mon cher ami, faites que Thérèse vous aime. Je ne peux pas en être jaloux, bien au contraire. Comme je l’ai rendue assez malheureuse et que vous serez excellent pour elle, j’en suis certain, vous m’ôterez par là un remords que je ne tiens pas à conserver.

Laurent fut surpris du silence de Palmer.

— Est-ce que je vous offense en vous parlant comme je fais ? lui dit-il. Telle n’est pas mon intention. J’ai de l’amitié pour vous, de l’estime, et même du respect, si vous voulez. Si vous blâmez ma conduite dans tout ceci,

dites-le-moi ; cela vaudra mieux que cet air d’indifférence ou de dédain.

— Je ne suis indifférent ni aux chagrins de Thérèse ni aux vôtres, répondit Palmer. Seulement, je vous épargne des conseils ou des reproches qui viendraient trop tard. Je vous ai crus faits l’un pour l’autre ; je suis persuadé, à présent, que le plus grand bonheur et le seul que vous puissiez vous donner l’un à l’autre, c’est de vous quitter. Quant à mes sentiments personnels pour Thérèse, je ne vous reconnais pas le droit de m’interroger, et quant