Page:Sand - Elle et Lui.djvu/68

Cette page n’a pas encore été corrigée

chez lui sans bruit et le regardait dormir. Il semblait accablé de fatigue. C’était peut-être, en effet, une lutte désespérée contre lui-même qu’il avait entreprise pour éteindre, par l’exercice physique, l’excès de sa pensée.

Une nuit, elle remarqua que ses habits étaient fangeux et déchirés comme s’il eût eu à soutenir une lutte matérielle, ou comme s’il eût fait une chute. Effrayée, elle s’approcha de lui et vit du sang sur son oreiller ; il avait une légère entaille au front. Il dormait si profondément, qu’elle espéra ne pas l’éveiller en lui découvrant un peu la poitrine pour voir s’il n’avait pas d’autre blessure ; mais il s’éveilla et entra dans une colère qui fut pour elle le coup de grâce. Elle voulait s’enfuir, il la retint de force, passa une robe de chambre, ferma la porte, et, marchant avec agitation dans l’appartement, qu’éclairait faiblement une petite lampe de nuit, il exhala enfin toute la souffrance amassée dans son âme.

— C’en est assez, lui dit-il ; soyons francs vis-à-vis l’un de l’autre. Nous ne nous aimons plus, nous ne nous sommes jamais aimés ! Nous nous sommes trompés l’un l’autre ; vous avez voulu avoir un amant ; peut-être n’étais-je ni le premier ni le second, n’importe ! il vous fallait un serviteur, un esclave ; vous avez cru que mon malheureux caractère, mes dettes, mon ennui, ma lassitude d’une vie d’excès, mes illusions sur l’amour vrai, me mettraient à votre discrétion, et que je ne pourrais jamais me reprendre. Pour mener à bonne fin une si périlleuse entreprise, il vous eût fallu à vous-même un plus heureux caractère, plus de patience, plus de souplesse, et surtout plus d’esprit ! Vous n’avez pas d’esprit du tout, Thérèse, soit dit sans vous offenser. Vous êtes tout d’une pièce, monotone, têtue et vaine à l’excès de votre prétendue modération, qui n’est que la philosophie des gens à vue courte et à facultés bornées. Quant à moi, je suis un fou, un inconstant, un ingrat, tout ce qu’il vous plaira ; mais je suis sincère, je ne fais pas de calculs, je me livre sans arrière-pensée : c’est pourquoi je me reprends de même. Ma liberté morale est chose sacrée, et je ne permets à personne de s’en emparer. Je vous l’avais confiée et non donnée, c’était à vous d’en faire bon usage et de savoir