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Un autre jour, il esquissa la figure et l’attitude de Thérèse, rêveuse et triste, dans un album qu’elle feuilleta ensuite, et où elle trouva une douzaine de croquis de femmes dont les poses impertinentes et les types effrontés la firent rougir. C’étaient les fantômes du passé qui avaient traversé la mémoire de Laurent et qui s’étaient collés, peut-être malgré lui, à ces feuilles blanches. Thérèse, sans rien dire, déchira celle où elle avait pris place dans cette mauvaise compagnie, la jeta au feu, ferma l’album et le remit sur la table ; puis elle s’assit près du feu, étendit son pied sur son chenet et voulut parler d’autre chose.

Laurent ne répondit pas, mais il lui dit :

— Vous êtes trop orgueilleuse, ma chère ! Si vous eussiez brûlé tous les feuillets qui vous déplaisent, pour ne laisser dans l’album que votre image, j’aurais compris, et je vous aurais dit : « Tu fais bien ; » mais vous retirer de là en y laissant les autres signifie que vous ne me feriez jamais l’honneur de me disputer à personne.

— Je vous ai disputé à la débauche, répondit Thérèse ; je ne vous disputerai jamais à aucune de ces vestales.

— Eh bien, c’est de l’orgueil, je le répète ; ce n’est pas de l’amour. Moi, je vous ai disputée à la sagesse, et je vous disputerais à n’importe lequel de ses moines.

— Pourquoi me disputeriez-vous ? Est-ce que vous n’êtes pas fatigué d’aimer la statue ? est-ce que la momie n’est pas dans votre cœur ?

— Ah ! vous avez la mémoire des mots, vous !

Mon Dieu ! qu’est-ce qu’un mot ? On l’interprète comme on veut. Avec un mot, on fait pendre un innocent. Je vois qu’il faut prendre garde à ce que l’on dit avec vous ; le plus prudent serait peut-être de ne jamais causer ensemble.

— En sommes-nous là, mon Dieu ? dit Thérèse ; fondant en larmes.