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revenir à pied, quand même il serait un peu tard.

— Je ne sais pas pourquoi, lui dit Thérèse, nous ne passerions pas toute la nuit dans la forêt : il n’y a ni loups ni voleurs. Restons ici tant que tu voudras, et ne revenons jamais, si bon te semble.

Ils restèrent seuls, et c’est alors que se passa une scène bizarre, presque fantastique, mais qu’il faut raconter telle qu’elle est arrivée. Ils étaient montés sur le haut du rocher et s’étaient assis sur la mousse épaisse desséchée par l’été. Laurent regardait le ciel splendide où la lune effaçait la clarté des étoiles. Deux ou trois des plus grosses brillaient seules au-dessus de l’horizon. Renversé sur le dos, Laurent les contemplait.

— Je voudrais bien savoir, dit-il, le nom de celle qui est à peu près au-dessus de ma tête ; elle a l’air de me regarder.

— C’est Véga, répondit Thérèse.

— Tu sais donc le nom de toutes les étoiles, toi, savante ?

— À peu près. Ce n’est pas difficile, et, en un quart d’heure, tu en sauras autant que moi, quand tu voudras.

— Non, merci ; j’aime mieux décidément ne pas savoir : j’aime mieux leur donner des noms à ma fantaisie.

— Et tu as raison.

— J’aime mieux me promener au hasard dans ces lignes tracées là-haut et faire des combinaisons de groupes à mon idée que de marcher dans le caprice des autres. Après tout, peut-être ai-je tort, Thérèse ! Tu aimes les sentiers frayés, toi, n’est-ce pas ?

— Ils sont meilleurs aux pauvres pieds. Je n’ai pas, comme toi, des bottes de sept lieues !

— Moqueuse ! tu sais bien que tu es plus forte et meilleure marcheuse que moi !

— C’est tout simple, je n’ai pas d’ailes pour m’envoler.

— Avise-toi d’en avoir pour me laisser là ! Mais ne parlons pas de nous quitter : ce mot-là ferait pleuvoir !

— Eh ! qui donc y songe ? Ne le répète pas, ton affreux mot !

— Non, non ! n’y songeons pas, n’y songeons pas ! s’écria-t-il en se levant brusquement.

— Qu’as-tu et où vas-tu ? lui dit-elle.

— Je ne sais pas, répondit-il. Ah ! si ! à propos… Il y a par là un écho extraordinaire, et, la dernière fois que j’y suis venu avec la petite… tu ne tiens pas à savoir son nom, n’est-ce pas ? j’ai pris grand plaisir à l’entendre d’ici, pendant qu’elle chantait là-bas sur le tertre qui est vis-à-vis de nous.

Thérèse ne répondit rien. Il s’aperçut que ce souvenir intempestif d’une de ses mauvaises connaissances n’était pas délicat à jeter au milieu d’une romantique veillée avec la reine de son cœur. Pourquoi cela lui était-il revenu ? comment le nom quelconque de la vierge folle lui était-il arrivé au bord des lèvres ? Il fut mortifié de cette maladresse ; mais, au lieu de s’en accuser naïvement et de la faire oublier par des torrents de tendres paroles qu’il savait bien tirer de son âme quand la passion l’inspirait, il n’en voulut pas avoir le démenti, et demanda à Thérèse si elle voulait chanter pour lui.

— Je ne pourrais pas, lui répondit-elle avec douceur. Il y a longtemps que je n’étais montée à cheval, je me sens un peu oppressée.

— Si ce n’est qu’un peu, faites un effort, Thérèse, cela me fera tant de plaisir !

Thérèse était trop fière pour avoir du dépit, elle n’avait que du chagrin. Elle détourna la tête et feignit de tousser.

— Allons, dit-il en riant, vous n’êtes qu’une faible femme ! Et puis vous ne croyez pas à mon écho, je vois cela. Je veux vous le faire entendre. Restez ici. Je grimpe là-haut, moi. Vous n’avez pas peur, j’espère, de rester seule cinq minutes ?

— Non, répondit tristement Thérèse, je n’ai pas du tout peur.

Pour grimper sur l’autre rocher, il fallait descendre le petit ravin qui le séparait de celui où ils étaient ; mais ce ravin était plus creux qu’il ne le paraissait. Quand Laurent, après en avoir descendu la moitié, vit le chemin qui lui restait à faire, il