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que ce n’est pas un instant de délire qui m’a jetée dans tes bras, mais un élan de mon cœur et un sentiment plus tendre et plus durable que l’ivresse de la volupté. Je ne suis pas supérieure aux autres femmes, et je ne m’arroge pas le droit de me croire invulnérable ; mais je t’aime si ardemment et si saintement, que je n’aurais jamais failli avec toi, si tu avais dû être sauvé par ma force. Après avoir cru que cette force t’était bonne, qu’elle t’apprenait à découvrir la tienne et à te purifier d’un mauvais passé, te voilà persuadé du contraire, à tel point qu’aujourd’hui c’est le contraire, en effet qui arrive : tu deviens amer, et il semble, si je résiste, que tu sois prêt à me haïr et à retourner à la débauche, en blasphémant même notre pauvre amitié. Eh bien, j’offre à Dieu pour toi le sacrifice de ma vie. Si je dois souffrir de ton caractère ou de ton passé, soit. Je serai assez payée si je te préserve du suicide que tu étais en train d’accomplir quand je t’ai connu. Si je n’y parviens pas, du moins je l’aurai tenté, et Dieu me pardonnera un dévouement inutile, lui qui sait combien il est sincère !

Laurent fut admirable d’enthousiasme, de reconnaissance et de foi dans les premiers jours de cette union. Il s’était élevé au-dessus de lui-même, il avait des élans religieux, il bénissait sa chère maîtresse de lui avoir fait connaître enfin l’amour vrai, chaste et noble, qu’il avait tant rêvé, et dont il s’était cru à jamais déshérité par sa faute. Elle le retrempait, disait-il, dans les eaux de son baptême, elle effaçait en lui jusqu’au souvenir de ses mauvais jours. C’était une adoration, une extase, un culte.

Thérèse y crut naïvement. Elle s’abandonna à la joie d’avoir donné toute cette félicité et rendu toute cette grandeur à une âme d’élite. Elle oublia toutes ses appréhensions et en sourit comme de rêves creux qu’elle avait pris pour des raisons. Ils s’en moquèrent ensemble ; ils se reprochèrent de s’être méconnus et de ne s’être pas jetés au cou l’un de l’autre dès le premier jour, tant ils étaient faits pour se comprendre, se chérir et s’apprécier. Il ne fut plus question de prudence et de sermons. Thérèse était rajeunie de dix ans. C’était un enfant plus enfant que Laurent lui-même ; elle ne savait quoi imaginer pour lui arranger une existence où il ne sentirait pas le pli d’une feuille de rose.

Pauvre Thérèse ! son ivresse ne dura pas huit jours entiers.

D’où vient cet effroyable châtiment infligé à ceux qui ont abusé des forces de la jeunesse, et qui consiste à les rendre incapables de goûter la douceur d’une vie harmonieuse et logique ? Est-il bien criminel, le jeune homme qui se trouve lancé sans frein dans le monde avec d’immenses aspirations, et qui se croit capable d’éteindre tous les fantômes qui passent, tous les enivrements qui l’appellent ? Son péché est-il autre chose que l’ignorance, et a-t-il pu apprendre dans son berceau que l’exercice de la vie doit être un éternel combat contre soi-même ? Il en est vraiment qui sont à plaindre, et qu’il est difficile de condamner, à qui ont peut-être manqué un guide, une mère prudente, un ami sérieux, une première maîtresse sincère. Le vertige les a saisis dès leurs premiers pas ; la corruption s’est jetée sur eux comme sur une proie pour faire des brutes de ceux qui avaient plus de sens que d’âme, pour faire des insensés de ceux qui se débattaient, comme Laurent, entre la fange de la réalité et l’idéal de leurs rêves.

Voilà ce que disait Thérèse pour continuer à aimer cette âme souffrante, et pourquoi elle endura les blessures que nous allons raconter.

Le septième jour de leur bonheur fut irrévocablement le dernier. Ce chiffre néfaste ne sortit jamais de la mémoire de Thérèse. Des circonstances fortuites avaient concouru à prolonger cette éternité de joies pendant toute une semaine ; personne d’intime n’était venu voir Thérèse, elle n’avait pas de travail trop pressé ; Laurent promettait de se remettre à l’ouvrage dès qu’il pourrait reprendre possession de son atelier, envahi par des ouvriers à qui il en avait confié la réparation. La chaleur était écrasante à Paris ; il fit à Thérèse la proposition d’aller passer quarante-huit heures à la campagne, dans les bois. C’était le septième jour.

Ils partirent en bateau, et arrivèrent le soir dans un hôtel, d’où, après le dîner, ils sortirent pour courir la forêt par un clair de lune magnifique. Ils avaient loué des chevaux et un guide, lequel les ennuya bientôt par son baragouin prétentieux. Ils avaient fait deux lieues et se trouvaient au pied d’une masse de rochers que Laurent connaissait. Il proposa de renvoyer les chevaux et le guide, et de