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source d’intimité. C’est la satisfaction en commun d’un besoin de l’être matériel, et, quand on y cherche un sens plus élevé, c’est une communion comme le mot l’indique.

Laurent, dont les idées prenaient volontiers un tour poétique au milieu même de la plaisanterie, se compara en riant à l’enfant prodigue, pour qui Catherine s’empressait du tuer le veau gras. Ce veau gras, qui se présentait sous la forme d’un mince poulet, prêta naturellement à la gaieté des deux amis. C’était si peu pour l’appétit du jeune homme, que Thérèse s’en tourmenta. Le quartier n’offrait guère de ressources, et Laurent ne voulut pas que la vieille Catherine s’en mît en peine. On déterra au fond d’une armoire un énorme pot de gelée de goyaves. C’était un présent de Palmer que Thérèse n’avait pas songé à entamer, et que Laurent entama profondément, tout en parlant avec effusion de cet excellent Dick, dont il avait eu la sottise d’être jaloux, et que désormais il aimait de tout son cœur.

— Vous voyez, Thérèse, dit-il, comme le chagrin rend injuste ! Croyez-moi, il faut gâter les enfants. Il n’y a de bons que ceux qui sont traités par la douceur. Donnez-moi donc beaucoup de goyaves, et toujours ! La rigueur n’est pas seulement un fiel amer, c’est un poison mortel !

Quand vint le thé, Laurent s’aperçut qu’il avait dévoré en égoïste, et que Thérèse, en faisant semblant de manger, n’avait rien mangé du tout. Il se reprocha son inattention et s’en confessa ; puis, renvoyant Catherine, il voulut lui-même faire le thé et servir Thérèse. C’était la première fois de sa vie qu’il se faisait le serviteur de quelqu’un, et il y trouva un plaisir délicat dont il éprouva naïvement la surprise.

— À présent, dit-il à Thérèse en lui présentant sa tasse à genoux, je comprends qu’on puisse être domestique et aimer son état. Il ne s’agit que d’aimer son maître.

De la part de certaines gens, les moindres attentions ont un prix extrême. Laurent avait dans les manières, et même dans l’attitude du corps, une certaine roideur dont il ne se départait même pas avec les femmes du monde. Il les servait avec la froideur cérémonieuse de l’étiquette. Avec Thérèse, qui faisait les honneurs de son petit intérieur en bonne femme et en artiste enjouée, il avait toujours été prévenu et choyé sans avoir à rendre la pareille. Il y eût eu manque de goût et de savoir-vivre à se faire l’homme de la maison. Tout à coup, à la suite de ces pleurs et de ces effusions mutuelles, Laurent, sans qu’il s’en rendît compte, se trouvait investi d’un droit qui ne lui appartenait pas, mais dont il s’emparait d’inspiration, sans que Thérèse, surprise et attendrie, pût s’y opposer. Il semblait qu’il fût chez lui, et qu’il eût conquis le privilége de soigner la dame du logis, en bon frère ou en vieux ami. Et Thérèse, sans songer au danger de cette prise de possession, le regardait faire avec de grands yeux étonnés, se demandant si jusque-là elle ne s’était pas radicalement trompée en prenant cet enfant tendre et dévoué pour un homme hautain et sombre.

Cependant Thérèse réfléchit durant la nuit ; mais, le lendemain matin, Laurent qui, sans rien préméditer, ne voulait pas la laisser respirer, car il ne respirait plus lui-même, lui envoya des fleurs magnifiques, des friandises exotiques et un billet