Elle n’avait alors que vingt ans, elle avait été mariée à seize. Elle n’était plus du tout jolie, et il a fallu huit années de repos et de résignation pour lui rendre sa santé et sa douce gaieté d’autrefois.
« Je ne l’ai revue pendant tout ce temps qu’à de rares intervalles, puisque je voyage toujours ; mais je l’ai toujours retrouvée digne et fière, travaillant avec un courage invincible et cachant sa pauvreté sous un miracle d’ordre et de propreté, ne se plaignant jamais ni de Dieu ni de personne, ne voulant pas parler du passé, caressant quelquefois les enfants en secret et les quittant dès qu’on la regarde, dans la crainte sans doute qu’on ne la voie émue.
« Voilà trois ans que je ne l’avais vue, et, quand je suis venu vous demander de faire mon portrait, je cherchais précisément son adresse, que j’allais vous demander quand vous m’avez parlé d’elle. Arrivé la veille, je ne savais pas encore qu’elle eût enfin du succès, de l’aisance et de la célébrité. C’est en la retrouvant ainsi que j’ai compris que cette âme si longtemps brisée pouvait encore vivre, aimer… souffrir ou être heureuse. Tâchez qu’elle le soit, mon cher Laurent, elle l’a bien gagné ! Et, si vous n’êtes point sûr de ne pas la faire souffrir, brûlez-vous la cervelle ce soir plutôt que de retourner chez elle. Voilà tout ce que j’avais à vous dire.