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Cette situation dura deux ou trois jours, pendant lesquels Laurent prépara plusieurs prétextes pour s’excuser, si par hasard Thérèse lui demandait compte de ce temps passé sans venir chez elle. Le quatrième jour, Laurent se sentit en proie à un spleen indicible. Les filles de joie et les femmes galantes lui donnaient des nausées ; il ne retrouvait dans aucun de ses amis la bonté patiente et délicate de Thérèse pour remarquer son ennui, pour tâcher de l’en distraire, pour en chercher avec lui la cause et le remède, en un mot pour s’occuper de lui. Elle seule savait ce qu’il fallait lui dire, et paraissait comprendre que la destinée d’un artiste tel que lui n’était pas un fait de peu d’importance, et sur lequel un esprit élevé eût le droit de prononcer que, s’il était malheureux, c’était tant pis pour lui.

Il courut chez elle avec tant de hâte, qu’il oublia ce qu’il voulait lui dire pour s’excuser ; mais Thérèse ne montra ni mécontentement ni surprise de son oubli, et le dispensa de mentir en ne lui faisant aucune question. Il en fut piqué, et s’aperçut qu’il était plus jaloux d’elle qu’auparavant.

— Elle aura vu son amant, pensa-t-il, elle m’aura oublié.

Cependant il ne fit rien paraître de son dépit, et veilla désormais sur lui-même avec un si grand soin, que Thérèse y fut trompée.

Plusieurs semaines s’écoulèrent pour lui dans une alternative de rage, de froideur et de tendresse. Rien au monde ne lui était si nécessaire et si bienfaisant que l’amitié de cette femme, rien ne lui était si amer et si blessant que de ne pouvoir prétendre à son amour. L’aveu qu’il avait exigé, loin de le guérir comme il s’en était flatté, avait irrité sa souffrance. C’était de la jalousie qu’il ne pouvait plus se dissimuler, puisqu’elle avait une cause avouée et certaine. Comment avait-il donc pu s’imaginer qu’aussitôt cette cause connue, il dédaignerait de vouloir lutter pour la détruire ?

Et cependant il ne faisait aucun effort pour supplanter l’invisible et heureux rival. Sa fierté, excessive auprès de Thérèse, ne le lui permettait pas. Seul, il le haïssait, il le dénigrait en lui-même, attribuant tous les ridicules à ce fantôme, l’insultant et le provoquant dix fois par jour.

Et puis il se dégoûtait de souffrir,