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chez lui pour voir un tableau qu’il venait de finir et sur lequel il voulait absolument son avis avant de le livrer. C’était vendu et payé ; mais, si elle lui faisait quelque critique, il y travaillerait encore quelques jours. Ce n’était plus le temps déplorable où Thérèse « ne s’y connaissait pas, où elle avait le jugement étroit et réaliste des peintres de portrait, où elle était incapable de comprendre une œuvre d’imagination, » etc. Elle était maintenant « sa muse et sa puissance inspiratrice. Sans le secours de son divin souffle, il ne pouvait rien. Avec ses conseils et ses encouragements, son talent, à lui, tiendrait toutes ses promesses. »

Thérèse oublia le passé, et, sans être trop enivrée du présent, elle ne crut pas devoir refuser ce qu’un artiste ne refuse jamais à un confrère. Elle prit une voiture après son dîner et alla chez Laurent.

Elle trouva l’atelier illuminé et le tableau magnifiquement éclairé. C’était une belle et bonne chose que ce tableau. Cet étrange génie avait la faculté de faire, en se reposant, des progrès rapides que ne font pas toujours ceux qui travaillent avec persévérance. Il y avait eu, par suite de ses voyages et de sa maladie, une lacune d’un an dans son travail, et il semblait que, par la seule réflexion, il se fût débarrassé des défauts de sa première exubérance. En même temps, il avait acquis des qualités nouvelles qu’on n’eût pas cru appartenir à sa nature, la correction du dessin, la suavité des types, le charme de l’exécution, tout ce qui devait plaire désormais au public sans démériter auprès des artistes.

Thérèse fut attendrie et ravie. Elle lui exprima vivement son admiration. Elle lui dit tout ce qu’elle jugea propre à faire dominer chez lui le noble orgueil du talent sur tous les mauvais entraînements du passé. Elle ne trouva aucune critique à faire et lui défendit même de rien retoucher.

Laurent, modeste en ses manières et en son langage, avait plus d’orgueil que Thérèse ne voulait lui en donner. Il était, au fond du cœur, enivré de ses éloges. Il sentait bien que, de toutes les personnes capables de l’apprécier, elle était la plus ingénieuse et la plus attentive. Il sentait aussi revenir impérieusement ce besoin qu’il avait d’elle pour partager ses tourments et ses joies d’artiste, et cet espoir de devenir un maître, c’est-à-dire un homme, qu’elle seule pouvait lui rendre dans ses défaillances.

Quand Thérèse eut longtemps contemplé le tableau, elle se retourna pour voir une figure que Laurent la priait de regarder, en lui disant qu’elle en serait encore plus contente ; mais, au lieu d’une toile, Thérèse vit sa mère debout et souriante sur le seuil de la chambre de Laurent.

Madame C… était venue à Paris, ne sachant pas au juste le jour où Thérèse y reviendrait. Cette fois elle y était attirée par des affaires sérieuses : son fils se mariait, et M. C… était lui-même à Paris depuis quelque temps. La mère de Thérèse, sachant par elle qu’elle avait renoué sa correspondance avec Laurent et craignant l’avenir, était venue le surprendre pour lui dire tout ce qu’une mère peut dire à un homme pour l’empêcher de faire le malheur de sa fille.

Laurent était doué de l’éloquence du cœur. Il avait rassuré cette pauvre mère, et il l’avait retenue en lui disant :

— Thérèse va venir, c’est à vos pieds que je veux lui jurer d’être toujours pour elle ce qu’elle voudra, son frère ou son mari, mais, dans tous les cas, son esclave.

Ce fut une bien douce surprise pour Thérèse de trouver là sa mère, qu’elle ne s’attendait pas à voir sitôt. Elles s’embrassèrent en pleurant de joie. Laurent les conduisit dans un petit salon rempli de fleurs, où le thé était servi avec luxe. Laurent était riche, il venait de gagner dix mille francs. Il était heureux et fier de pouvoir restituer à Thérèse tout ce qu’elle avait dépensé pour lui. Il fut adorable dans cette soirée ; il gagna le cœur de la fille et la confiance de la mère, et il eut pourtant la délicatesse de ne pas dire un mot d’amour à Thérèse. Loin de là, en baisant les mains unies ensemble de ces deux femmes, il s’écria avec sincérité que c’était là le plus beau jour de sa vie, et que jamais, en tête-à-tête avec Thérèse, il ne s’était senti si heureux et si content de lui-même.

Ce fut madame C… la première qui, au bout de quelques jours, parla de mariage à Thérèse. Cette pauvre femme, qui avait tout sacrifié à la considération extérieure, qui, malgré ses chagrins domestiques, croyait avoir bien fait, ne pouvait supporter l’idée de voir sa fille délaissée par Palmer, et elle pensait que désormais Thérèse devait avoir raison du monde en