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tirer parti auprès de Thérèse des injustices de son fiancé. Il n’avait cessé de parler de lui avec respect et amitié. Par un bizarre concours de circonstances morales, c’est lui qui cette fois avait eu le beau rôle. Et puis Thérèse ne pouvait s’empêcher de reconnaître que, si Laurent était parfois insensé jusqu’à en être atroce, rien de petit et de bas ne pouvait approcher de sa pensée.

Durant les trois mois qui suivirent le départ de Palmer, Laurent continua à se montrer digne de l’amitié de Thérèse. Il avait su découvrir sa retraite, et il ne fit rien pour l’y troubler. Il lui écrivit pour se plaindre doucement de la froideur de son adieu, pour lui reprocher de n’avoir pas eu confiance en lui dans ses chagrins, de ne l’avoir pas traité comme son frère ; « n’était-il pas créé et mis au monde pour la servir, la consoler, la venger au besoin ? » Puis venaient des questions auxquelles Thérèse était bien forcée de répondre. Palmer l’avait-il outragée ? Fallait-il aller lui en demander raison ?

« Ai-je fait quelque imprudence qui t’ait blessée ? as-tu quelque chose à me reprocher ? Je ne le croyais pas, mon Dieu ! Si je suis la cause de ta douleur, gronde-moi, et, si je n’y suis pour rien, dis-moi que tu me permets de pleurer avec toi. »

Thérèse justifia Richard sans vouloir rien expliquer. Elle défendit à Laurent de lui parler de Palmer. Dans sa généreuse résolution de ne pas laisser une tache sur le souvenir de son fiancé, elle laissa croire que la rupture venait d’elle seule. C’était peut-être rendre à Laurent des espérances qu’elle n’avait jamais voulu lui laisser ; mais il est des situations où, quoi qu’on fasse, on commet des maladresses, et où l’on court fatalement à sa perte.

Les lettres de Laurent furent d’une douceur et d’une tendresse infinies. Laurent écrivait sans art, sans prétention, et souvent sans goût et sans correction. Il était tantôt emphatique de bonne foi et tantôt trivial sans pruderie. Avec tous leurs défauts, ses lettres étaient dictées par une conviction qui les rendait irrésistiblement persuasives, et on y sentait à chaque mot le feu de la jeunesse et la sève bouillante d’un artiste de génie.

En outre, Laurent se remit à travailler avec ardeur, avec la résolution de ne jamais retomber dans le désordre. Son cœur saignait des privations que Thérèse avait souffertes pour lui donner le mouvement, le bon air et la santé du voyage en Suisse. Il était résolu à s’acquitter au plus vite.

Thérèse sentit bientôt que l’affection de son pauvre enfant, comme il s’intitulait toujours, lui était douce, et que, si elle pouvait continuer ainsi, elle serait le plus pur et le meilleur sentiment de sa vie.

Elle l’encouragea par des réponses toutes maternelles à persévérer dans la voie de travail où il se disait rentré pour toujours. Ces lettres furent douces, résignées et d’une tendresse chaste ; mais Laurent y vit percer une tristesse mortelle. Thérèse avouait être un peu malade, et il lui venait des idées de mort dont elle riait avec une mélancolie navrante. Elle était réellement malade. Sans amour et sans travail, l’ennui la dévorait. Elle avait emporté une petite somme qui était le reste de ce qu’elle avait gagné à Gênes, et elle l’économisait strictement pour rester à la campagne le plus longtemps possible. Elle avait pris Paris en horreur. Et puis peut-être avait-elle senti peu à peu quelque désir et en même temps quelque frayeur de revoir Laurent changé, soumis et amendé de toutes façons, comme il se montrait dans ses lettres.

Elle espérait qu’il se marierait ; puisqu’il en avait eu une fois la velléité, cette bonne pensée pouvait revenir. Elle l’y encourageait. Il disait tantôt oui et tantôt non. Thérèse attendait toujours qu’aucune trace de l’ancien amour ne reparût dans les lettres de Laurent : il revenait bien toujours un peu, mais c’était avec une délicatesse exquise désormais, et ce qui dominait ces retours à un sentiment mal étouffé, c’était une tendresse suave, une sensibilité expansive, une sorte de piété filiale enthousiaste.

Quand l’hiver fut venu, Thérèse, se voyant au bout de ses ressources, fut forcée de revenir à Paris, où étaient sa clientèle et ses devoirs vis-à-vis d’elle-même. Elle cacha son retour à Laurent, ne voulant pas le revoir trop vite ; mais, par je ne sais quelle divination, il passa dans la rue peu fréquentée où était sa petite maison. Il vit les contrevents ouverts et entra, ivre de joie. C’était une joie naïve et presque enfantine, qui eût rendu ridicule et bégueule toute attitude de méfiance et de réserve. Il laissa dîner Thérèse, en la suppliant de venir le soir