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XII


Palmer partit pour l’Amérique, emportant avec dignité une blessure profonde, mais ne pouvant admettre qu’il se fût trompé. Il avait dans l’esprit une obstination qui réagissait parfois sur son caractère, mais seulement pour lui faire accomplir résolument tel ou tel acte, et non pour persister dans une voie douloureuse et vraiment difficile. Il s’était cru capable de guérir Thérèse de son fatal amour, et, par sa foi exaltée, imprudente si l’on veut, il avait fait ce miracle ; mais voilà qu’il en perdait le fruit au moment de le recueillir, parce qu’au ciment de la dernière épreuve la foi lui manquait.

Il faut bien dire aussi que la plus mauvaise circonstance possible pour établir un lien sérieux, c’est de vouloir trop vite posséder une âme qui vient d’être brisée. L’aurore d’une pareille union se présente avec des illusions généreuses ; mais la jalousie rétrospective est un mal incurable et engendre des orages que la vieillesse même ne dissipe pas toujours.

Si Palmer eût été un homme vraiment fort, ou si sa force eût été plus calme et mieux raisonnée, il eût pu sauver Thérèse des désastres qu’il pressentait pour elle. Il l’eût dû peut-être, car elle s’était confiée à lui avec une sincérité et un désintéressement dignes de sollicitude et de respect ; mais beaucoup d’hommes qui ont l’aspiration et l’illusion de la force n’ont que de l’énergie, et Palmer était de ceux sur lesquels on peut se tromper longtemps. Tel qu’il était, il méritait à coup sûr les regrets de Thérèse. On verra bientôt qu’il était capable des mouvements les plus nobles et des actions les plus courageuses. Tout son tort était d’avoir cru à la durée inébranlable de ce qui était chez lui un effort spontané de la volonté.

Laurent ignora d’abord le départ de Palmer pour l’Amérique ; il fut consterné de trouver Thérèse partie aussi sans recevoir ses adieux. Il n’avait reçu d’elle que trois lignes :

« Vous avez été le seul confident en France de mon mariage projeté avec Palmer. Ce mariage est rompu. Gardez-nous-en le secret. Je pars. »

En écrivant ce peu de mots glacés à Laurent, Thérèse éprouvait une sorte d’amertume contre lui. Ce fatal enfant n’était-il pas la cause de tous les malheurs et de tous les chagrins de sa vie ?

Elle sentit pourtant bientôt que cette fois son dépit était injuste. Laurent s’était admirablement conduit avec Palmer et avec elle durant ces malheureux huit jours qui avaient tout perdu. Après la première émotion, il avait accepté la situation avec une grande candeur, et il avait fait tout son possible pour ne pas porter ombrage à Palmer. Il n’avait pas cherché une seule fois à