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tressaillir, et, à la dernière, il se tordit les mains jusqu’à les faire craquer.

Thérèse s’en étonna. Elle n’avait plus rien pressenti des anxiétés de Palmer depuis l’explication qu’ils avaient eue ensemble au commencement de leur séjour en ce pays.

— Mon Dieu, qu’est-ce donc ? s’écria-t-elle en le regardant avec attention. Quel pressentiment avez-vous ?

— Oui ! c’est cela, répondit Palmer à la hâte. C’est un pressentiment… pour Lawson, mon ami d’enfance. Je ne sais pourquoi… Oui, oui, c’est un pressentiment !

— Vous croyez qu’un malheur lui arrivera en mer ?

— Peut-être ? Qui sait ? Enfin vous n’y serez pas exposée, grâce au ciel, puisque nous allons à Paris.

L’Union passe à Brest et s’y arrête quinze jours. C’est là que nous irons nous embarquer ?

— Oui, oui, sans doute, si d’ici là il n’arrive pas une catastrophe.

Et Palmer resta triste et accablé, sans que Thérèse devinât ce qui se passait en lui. Comment l’eût-elle deviné ? Laurent était aux eaux de Baden. Palmer le savait bien, et Laurent était occupé aussi de projets de mariage, comme il l’avait écrit.

Ils partirent le lendemain en poste, et, sans s’arrêter nulle part, ils rentrèrent en France par Turin et le mont Cenis.

Ce voyage fut d’une tristesse extraordinaire. Palmer voyait partout des signes de malheur ; il avouait des superstitions et des faiblesses d’esprit qui n’étaient nullement dans son caractère. Lui, si calme et si facile à servir, il s’abandonnait à des colères inouïes contre les postillons, contre les routes, contre les douaniers, contre les passants. Thérèse ne l’avait jamais vu ainsi. Elle ne put se défendre de le lui dire. Il lui répondit un mot insignifiant, mais avec une expression de visage si sombre et un accent de dépit si marqué, qu’elle eut peur de lui, de l’avenir par conséquent.

Il y a une destinée implacable pour certaines existences. Pendant que Thérèse et Palmer rentraient en France par le mont Cenis, Laurent y rentrait par Genève. Il arriva à Paris quelques heures avant eux, préoccupé d’un vif souci. Il avait enfin découvert que, pour le faire voyager pendant quelques mois, Thérèse s’était dépouillée en Italie de tout ce qu’elle possédait alors, et il avait appris (car tout se découvre tôt ou tard), d’une personne qui avait passé à la Spezzia à cette époque, que mademoiselle Jacques vivait à Porto-Venere dans un état de gêne extraordinaire, et faisait de la dentelle pour payer un logement de six livres par mois.

Humilié et repentant, irrité et désolé, il voulait savoir à quoi s’en tenir sur la situation présente de Thérèse. Il la savait trop fière pour vouloir rien accepter de Palmer, et il se disait avec vraisemblance que, si elle n’avait pas été payée de ses travaux à Gênes, elle avait dû faire vendre ses meubles à Paris.

Il courut aux Champs-Elysées, frémissant de trouver des inconnus installés dans cette chère petite maison dont il n’approchait qu’avec un violent battement de cœur. Comme il n’y avait pas de portier, il dut sonner à la grille du jardin, sans savoir quelle figure allait venir lui répondre. Il ignorait le prochain mariage de Thérèse, il ignorait même qu’elle fût libre de se marier. Une dernière lettre qu’elle lui avait écrite à ce sujet était arrivée à Baden le lendemain de son départ.

Sa joie fut extrême de voir la porte ouverte par la vieille Catherine. Il lui sauta au cou ; mais tout aussitôt il devint triste en voyant la figure consternée de cette bonne femme.

— Et que venez-vous faire ici ? lui dit-elle avec humeur. Vous savez donc que mademoiselle arrive aujourd’hui ? Ne pouvez-vous la laisser tranquille ? Venez-vous encore faire son malheur ? On m’avait dit que vous vous étiez quittés, et j’en étais contente ; car, après vous avoir aimé, je vous détestais. Je voyais bien que vous étiez l’auteur de ses embarras et de ses peines. Allons, allons, ne restez pas ici à l’attendre, à moins que vous n’ayez juré de la faire mourir !

— Vous dites qu’elle arrive aujourd’hui ! s’écria Laurent à plusieurs reprises.

C’est tout ce qu’il avait entendu de la mercuriale de la vieille servante. Il entra dans l’atelier de Thérèse, dans le petit salon lilas et jusque dans la chambre à coucher, soulevant les toiles grises que Catherine avait étendues partout pour garantir les meubles. Il les regardait un à un, tous ces petits meubles curieux et charmants, objets d’art et de goût que