Page:Sand - Dernieres pages.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les rêves. On a des perceptions confuses d’une nuit terne comme celle-ci et d’un monde voilé où l’on erre à l’aventure sans but déterminé. Je m’imagine que c’est vous autres qui êtes là, que j’ai ma femme en croupe, que je vous parle et que vous me répondez. La conviction, la certitude font partie essentielle du rêve ; je pourrais vous jurer que je ne me trompe pas, que je vous entends, que je vous parle et que vous m’entendez. Je n’en serais pas moins la dupe d’un songe, et vous auriez beau me jurer que nous sommes bien ici et non ailleurs, cela ne prouverait absolument rien, sinon que l’imagination est tout, et que l’on n’est, en réalité, que là où l’on croit être.

Cette fantaisie me plaisait et je ne songeais pas à la contredire. Hydrogène la trouva folle et voulut la réfuter.

— Toi, lui dit Duteil, tu affirmes d’autant plus que tu es plus abusé par la vision de ton rêve. Pourrais-tu me jurer qu’en ce moment tu as ta raison ?

— Je m’en flatte ! répondit Hydrogène ; je n’ai pas bu comme vous une rivière de bordeaux et un fleuve de Champagne.