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ORDONIO.

Abjurez donc un rêve de vertu que l’amour appelle orgueil ou lâcheté !

COSIMA.

Dites-moi, Ordonio, si vous vous mariez un jour, est-ce là le langage que vous tiendrez à votre femme ?

ORDONIO, avec ironie.

Vraiment, madame, vous parlez morale comme un docteur ! Acceptez donc mes adieux, et ne rallumez pas sans cesse mon amour par vos reproches !

COSIMA.

Oh ! je ne vous demandais que votre amitié ! Je voulais qu’en nous quittant, nous emportassions du moins l’estime l’un de l’autre. Je voulais que nous finissions comme nous avions commencé, par un chaste baiser et un adieu fraternel sous les yeux d’Alvise. Alors, j’eusse pu vous perdre, et ne pas désirer de vous oublier. J’eusse songé à vous tous les jours de ma vie, et mes larmes eussent été douces. J’aurais pu me dire : « Il m’a vraiment aimée, et la mort nous réunira peut-être !… » Ah ! vous autres hommes, vous ne savez pas ce que c’est qu’un unique rêve de bonheur dans une vie d’abnégation. Vous oubliez, dans l’ivresse d’une passion nouvelle, les douleurs et les mécomptes de celle qui l’a précédée. Vous n’avez pas besoin de vous souvenir et de conserver pure cette fleur brisée, mais non flétrie, d’un premier, d’un dernier amour !

ORDONIO, à part, la regardant.

Cette femme est belle ! Je n’y renoncerai pas. (Haut, avec une passion factice.) Cosima, tu l’emportes, et je me soumettrai. Oui, je veux que tu te souviennes de moi, et que tu me regrettes. Vivre dans ton cœur, et mourir à tout le reste !… Tu l’exiges, je partirai ! mais auparavant… tu me diras encore une fois que tu m’aimes, (il s’approche d’elle, et l’entoure de ses bras.) Tu me le diras comme tu me l’as dit une fois… et… tu ne me repousseras pas si je te presse une dernière fois sur mon cœur… Oh ! ma bien-aimée, nous séparerons-nous