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je ne la crois pas bonapartiste non plus. Il nous faudrait du sang américain dans les veines pour comprendre que l’homme doit s’appartenir et se gouverner sans ivresse et sans colère. Mais comment exiger le sang-froid au milieu de telles crises ? Ah ! mon ami, nous avons bien souffert, dans le calme relatif où nous vivons encore ! Nous n’avons senti ni le manque d’argent, qui est pourtant une calamité immédiate, ni le danger de la misère qui s’étend par suite du manque de récoltes, manque d’ouvriers, peste bovine, commerce interrompu, etc., etc… et les ravages de la variole qui est partout ! Nous étions si préoccupés, si déchirés par la souffrance plus intense de Paris et du reste de la France, que nous ne pensions plus à nous-mêmes. Nous respirons en pensant que vous allez recevoir des vivres et que les bombes ne tomberont plus sur vous. J’eusse volontiers payé ce soulagement pour les autres, de ma propre vie. On n’y tient plus, à la vie ! Mais je ne suis pas de ceux qui font bon marché de celle des autres. Je n’ai pas le fanatisme de la guerre. — Espérons que c’est le sentiment du grand nombre et que nous obtiendrons des conditions équitables.

Quelle bonne lettre vous m’avez écrite ! Nous vous en sommes reconnaissants et nous vous embrassons tous.

Venez nous voir aussitôt que vous pourrez.

G. SAND.