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taient jamais servir ! Et puis cet hiver de Russie les éprouve cruellement.

Nous avons passé bien tristement le jour de Noël, et le jour de l’an sera non moins triste. Le petit Edme et Antoine sont partis, mobilisés. Le premier est sous-lieutenant ; l’autre, sergent. Ils supportent bien cette première épreuve et ont voulu la supporter. Henri, notre petit jardinier, est sergent-major. Maurice voulait s’en aller aussi ; mais il a compris qu’il ne pouvait laisser, sous le coup de l’invasion, une jeune femme, une vieille mère et deux petits enfants tout seuls ; car on a pris tous nos hommes valides, on les emmène au loin. Les familles sont abandonnées à la garde de Dieu, pas d’hommes, pas de fusils, pas de chevaux. On réquisitionne tout. Je ne dis pas qu’il ne le faille pas ; mais il ne faut pas appeler lâches ceux qui ne peuvent défendre leurs foyers. Si l’ennemi vient, nous nous éloignerons. Pour le moment, il est occupé ailleurs et peut-être aura-t-on la bonne chance de le repousser tout à fait. On a tant de chagrin d’être séparé de tous ceux qu’on aime et d’être inquiet de tous, que, dans la solitude, on n’a pas de quoi réagir. Nous pensons à toi sans cesse, tous les jours, à toute heure. Lolo t’appelle son pauvre mignon Plauchut, et Titite, qui bavarde comme une pie, te demande aussi tous les jours. Nous nous reprochons de bien dîner encore et de dormir encore dans nos lits en pensant à vos privations et à vos fatigues et à ce froid terrible des longues nuits. J’ai écrit à