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CMLIII

À GUSTAVE FLAUBERT, À PARIS


Nohant, 12 janvier 1876.


Je veux tous les jours t’écrire ; le temps manque absolument. Enfin, voici une éclaircie ; nous sommes ensevelis sous la neige ; c’est un temps que j’adore : cette blancheur est comme une purification générale, et les amusements de l’intérieur sont plus intimes et plus doux. Peut-on haïr l’hiver à la campagne ! La neige est un des plus beaux spectacles de l’année !

Il paraît que je ne suis pas claire dans mes sermons ; j’ai cela de commun avec les orthodoxes, mais je n’en suis pas ; ni dans la notion de l’égalité, ni dans celle de l’autorité, je n’ai pas de plan fixe. Tu as l’air de croire que je te veux convertir à une doctrine. Mais non, je n’y songe pas. Chacun part d’un point de vue dont je respecte le libre choix. En peu de mots, je peux résumer le mien : ne pas se placer derrière la vitre opaque par laquelle on ne voit rien que le reflet de son propre nez. Voir aussi loin que possible, le bien, le mal, auprès, autour, là-bas, partout ; s’apercevoir de la gravitation incessante de toutes choses tangibles et intangibles vers la nécessité du bien, du bon, du vrai, du beau.