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n’est pas aisé de s’habituer à ne plus voir son petit Edme. Ta vieille tante en a le cœur plus gros qu’on ne pense et qu’elle ne veut le dire. Ta mère et tes frères n’ont pas besoin d’être aidés à souffrir de ton absence. Enfin, mon pauvre petit, il faut toujours voir en beau car, si l’on voit en laid, c’est qu’on est laid soi-même, ou qu’on se sent porté à le devenir. Il est cruel de se trouver seul à ton âge et d’entrer dans l’inconnu brusquement, au sortir d’une si bonne vie de famille. Mais c’est une épreuve qu’il faut subir tôt ou tard, et dont un être aimant et intelligent, comme toi, doit savoir tirer bon parti. On est forcé de secouer l’indolence que donne le bien-être et l’aide continuelle des autres. On se recueille, on fait pour la première fois sérieuse connaissance avec soi-même. On se demande ce que l’on fera de son temps et de sa volonté. Il n’y a que les sots ou les êtres mal organisés qui se trouvent embarrassés. On peut tout apprendre à ton âge. Apprends donc tout ce que tu pourras et n’importe quoi. Tout ce qu’on ne sait pas est utile à savoir et nous ouvre d’autant l’horizon. Rappelle-toi bien que voir loin et clair, c’est tout le but de la vie. Quand le champ de la vision est étendu, il n’y a plus de trouble dans le cœur : on va au vrai et au bien avec une facilité incroyable. On n’est plus contrarié par aucun devoir, fatigué par aucun effort de volonté, abattu par aucune épreuve.

Tu sais que tu m’as promis de m’écrire très souvent, de me rendre compte de tout ce qui t’arrivera ; rien