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DLXXX

À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE,
À ANGERS


Palaiseau, 31 décembre 1864.


Mademoiselle,

Le récit que vous me faites m’a vivement touchée ; ce que j’y vois surtout, c’est votre immense bonté, c’est votre vie entière consacrée à faire des heureux ou des moins malheureux. Comment, avec cette âme pleine de tendres souvenirs, et cette conscience d’avoir fait tant de bien, pouvez-vous être triste et découragée ? c’est vraiment douter de la justice divine. Et justement vous ne croyez pas aux peines éternelles ! que craignez-vous donc de Dieu ? est-ce que son appréciation de nos fautes peut être jugée par nous et mesurée selon nos idées ?

Je me suis dit bien souvent, quand je me suis vue forcée de reprendre les autres, de gronder un enfant, et même d’enfermer un animal : « Certes Dieu n’est pas juste à notre manière. S’il connaissait la nécessité de châtier, de réprimer, de punir, il serait malheureux ; son cœur serait brisé à toute heure ; les larmes et les cris des créatures navreraient sa bonté. Dieu ne peut pas être malheureux ; donc, nos erreurs n’exis-