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le matin, avant le travail de Toto. Il vous resterait la journée pour vous occuper d’elle[1], de votre maison, de vos amis. Vous dormiriez pour sûr à onze heures du soir, et, en vous levant à six heures du matin, vous auriez eu un repos bien suffisant. Essayez, si vous pouvez.

Je vis tout autrement ; mais, si je n’avais pas de sommeil, je n’hésiterais pas à changer vite toutes mes habitudes. Le travail est un acte de lucidité. Pas de complète lucidité sans repos préalable. Pardon pour tous ces lieux communs, dont votre énergie et votre ardeur ne changeront pas l’impassible et fatale vérité !

Ma Lina ne se pique pas de calme ; mais elle a de grands mouvements de vouloir et de raison qui se succèdent et se rattachent les uns aux autres après qu’une émotion vive a semblé les briser. C’est une nature rare, une grande force dans une exquise finesse. Elle est toute disposée à vous aimer, mais elle n’est pas expansive ; elle est plutôt timide à première vue et observant plus qu’elle ne songe à montrer. Elle eût été une artiste, si elle n’eût été avant tout une mère. Ce sentiment-là a absorbé toute sa vie depuis six ans. Elle y a mis toute son âme.

Nos fillettes prospèrent. Aurore s’est développée avec le printemps plus qu’elle n’avait fait dans tout l’hiver. Elle est plus impétueuse et plus capricieuse. Elle a des besoins de mouvement immodérés, tant

  1. Mademoiselle Alice Lamessine, aujourd’hui madame Paul Segond, fille du premier mariage de madame Edmond Adam.