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cet enthousiasme ne fait pas plus d’effet qu’un sac de noix. Le public ne s’en occupe pas, il interrompt où il lui plaît, et c’est le tonnerre. Jamais je n’ai rien entendu de pareil. La salle est comble, elle croule ; la tirade de Ribes, au second acte, provoque un délire. Dans les entr’actes, les étudiants chantent des cantiques dérisoires, crient « Enfoncés les jésuites ! Hommes noirs, d’où sortez-vous ? Vive La Quintinie ! Vive George Sand ! Vive Villemer ! » On rappelle les acteurs à tous les actes. Ils ont de la peine à finir la pièce. Ces applaudissements les rendent ivres, Berton, ce matin, l’était encore d’hier, lui qui ne boit jamais que de l’eau rougie. Ce soir, il me suivait dans les coulisses en me disant qu’il me devait le plus beau succès de sa vie, et le plus beau rôle qu’il eût jamais joué.

Thuillier et Ramelli étaient folles. Il faut dire qu’elles ont joué admirablement. Ribes n’a pas le même ensemble : il est laid, disgracieux, pas cabotin du tout ; mais, par moments, il est si sympathique et si nerveux, qu’il électrise le public et recueille en bloc les bravos que les autres reçoivent en détail. Je vous raconte tout ça pour vous amuser. Si vous voyiez mon calme au milieu de tout ça, vous en ririez ; car je n’ai pas été plus émue de peur et de plaisir que si ça ne m’eût pas regardé personnellement, et je ne pourrais pas expliquer pourquoi. Je m’étais préparée à ce qu’il y a de pire, c’est peut-être pour ça que l’inattendu d’un succès si inconcevable, en ce qui me concerne,