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DCXVI

À GUSTAVE FLAUBERT, À CROISSET


Nohant, lundi soir, octobre 1866.


Cher ami,

Votre lettre m’est revenue de Paris. Il ne m’en manque pas, j’y tiens trop pour en laisser perdre. Vous ne me parlez pas inondations, je pense donc que la Seine n’a pas fait de bêtises chez vous et que le tulipier n’y a pas trempé ses racines. Je craignais pour vous quelque ennui, et je me demandais si votre levée était assez haute pour vous protéger. Ici, nous n’avons rien à redouter en ce genre : nos ruisseaux sont très méchants, mais nous en sommes loin.

Vous êtes heureux d’avoir des souvenirs si nets des autres existences. Beaucoup d’imagination et d’érudition, voilà votre mémoire ; mais, si on ne se rappelle rien de distinct, on a un sentiment très vif de son propre renouvellement dans l’éternité. J’avais un frère très drôle, qui souvent disait : « Du temps que j’étais chien… » Il croyait être homme très récemment. Moi, je crois que j’étais végétal ou pierre. Je ne suis pas toujours bien sûre d’exister complètement, et, d’autres fois, je crois sentir une grande fatigue accumulée