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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Comment et pourquoi voulez-vous qu’un poète haïsse celui-ci ou celui-là, parmi ces travailleurs dont la cause est commune, quels que soient les noms propres inscrits sur leurs drapeaux, dans le passé, dans le présent ou dans l’avenir ?

Ce que le poète haïrait et réprouverait, s’il était privé de raison ou de charité, c’est la spéculation, ce jeu terrible qui fait et défait les existences au profit les unes des autres, à ce point que, tous les vingt ans (je parle d’autrefois, désormais ce sera bien plus vite fait), la propriété change de propriétaires sur le sol de la France. Oui, la spéculation, cette reine des vicissitudes, des luttes, des jalousies et des passions, cette ennemie de l’idéal et du rêve, cette réaliste par excellence, qui pousse les hommes à l’activité fiévreuse du succès et qui dédaigne également les contemplations de l’artiste, les labeurs érudits du critique, les systèmes du philosophe et les aspirations religieuses du moraliste. Au premier aspect, les amants de cette science seraient les bourgeois, les vrais, les seuls bourgeois désormais, dans cette société qui n’a que des noms vieillis et impropres pour les choses nouvelles. Mais, si l’on y réfléchit, cette race ardente, qui envahit rapidement toutes les forces morales et physiques de notre époque, n’est pas une classe à part, ce n’est même pas une race distincte. C’est comme l’Église du positivisme, qui recrute partout des adeptes, et qui en trouve chez les poètes comme chez les épiciers, chez les laïques comme chez les prêtres, au sommet de la