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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

dent des destinées du riche. Le bourgeois que notre mémoire a embaumé et que votre imagination veut faire revivre n’existe plus. Ce bourgeois-là, qui compte, chaque soir, les honnêtes et modestes profits du travail de sa journée, qui ne joue pas à la Bourse, qui ne se hasarde pas dans les délirantes spéculations de la grande industrie, il ne s’appelle plus le bourgeois. Il est le peuple, et il n’y a entre lui et l’artisan — que vous avez bien raison d’estimer et de respecter — que la différence d’un peu plus ou d’un peu moins d’activité, d’invention et d’ambition. Que dis-je ! entre le paysan, qui meurt de faim sur la terre qu’il ne sait ni ne peut féconder, faute de science et de capital, et le boutiquier, qui amasse péniblement une aisance sans cesse inquiétée par l’absence de crédit, il n’y a pas grande différence de plainte et de désir à l’heure qu’il est. Tout cela, c’est le peuple, le laboureur comme le commerçant, comme l’artiste, comme tous ceux qui n’ont pas mis la main sur les gros lots, Flaminio comme Fulgence, et Keller comme Favilla.

Ce ne sont pas là désormais des contrastes ennemis : ce sont des hommes qui cherchent ou qui travaillent, qui attendent ou qui espèrent ; ce sont des frères et des égaux qui peuvent bien encore se quereller et se méconnaître, mais qui sont à la veille de s’entendre, parce que, chez eux, toute l’aristocratie est dans l’intelligence et dans la vertu, que la vertu joue du violon, ou que l’intelligence aune de la toile.