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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

ce qui est malheureux, faible, trompé et sacrifié ; comme on aime ce qui est jeune, ignorant, pur encore, et portant en soi le germe d’un avenir idéal. Nous l’aimons comme on aime la victime innocente, disputée à la fatalité éternelle ; comme on aime le Christ sur la croix, comme on aime l’espérance, comme on aime l’idée de la justice, comme on aime Dieu dans l’humanité ! Peut-on aimer ainsi et vouloir que l’objet d’un tel amour s’avilisse dans la misère ou se souille dans le pillage ?

Demandez à la mère si elle souhaite que l’enfant de ses entrailles devienne un bandit et un assassin !

Et pourtant voilà ce dont on nous accuse. On dit que nos idées d’égalité fraternelle sont le tocsin du meurtre et de l’incendie, et, en disant cela, on sonne aux oreilles du peuple le tocsin du délire, on lui signale d’invisibles ennemis qu’on lui conseille d’étrangler. On marque la porte de nos maisons, on voudrait une Saint-Barthélémy d’hérétiques nouveaux, on lui crie : « Tue ! afin qu’il n’y ait plus personne entre toi, peuple, et nous, bourgeoisie, et alors nous compterons ensemble. »

Le peuple ne tuera pas. Eh ! que m’importerait à moi qu’il me tuât, si mon sang pouvait apaiser la colère du ciel et même celle de la bourgeoisie ? Mais le sang enivre et répand dans l’atmosphère une influence contagieuse. Le meurtre rend fou. L’injure même, les mauvaises paroles, les cris de menace tuent moralement ceux qui les exhalent. L’éducation de la haine