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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

je ne sais pas quoi, par exemple. Je n’ai eu ni l’honneur ni le mérite de faire quelque chose pour la cause, pas même une folie ou une imprudence, comme on dit ; je ne savais rien, je ne comprenais rien à ce qui se passait ; j’étais là comme curieux, étonné et inquiet, et il n’était pas encore défendu, de par les lois de la République, de faire partie d’un groupe de badauds. Les nouvelles les plus contradictoires traversaient la foule. On a été jusqu’à nous dire que vous aviez été tué. Heureusement, cela était démenti au bout d’un instant par une autre version. Mais quelle triste et pénible journée !

Le lendemain était lugubre. Toute cette population armée, furieuse ou consternée, le peuple provoqué, incertain, et à chaque instant, des légions qui passaient, criant à la fois : Vive Barbès ! et À bas Barbès ! Il y avait encore de la crainte chez les vainqueurs. Sont-ils plus calmes aujourd’hui après tout ce développement de terrorisme ? j’en doute.

Enfin, je ne sais par quel caprice, il paraît qu’on voulait me faire un mauvais parti, et mes amis me conseillaient de fuir en Italie. Je n’ai pas entendu de cette oreille-là. Si j’avais espéré qu’on me mît en prison près de vous, j’aurais crié : Vive Barbès ! devant le premier garde national que j’aurais trouvé nez à nez. Il n’en aurait peut-être pas fallu davantage ; mais, comme femme, je suis toujours forcée de reculer devant la crainte d’insultes pires que des coups, devant ces sales invectives que les braves de la bourgeoisie