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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

vérité, je vous demande d’avoir le feu non moins vif, mais plus pur, la parole non moins hardie mais plus calme. Les grandes convictions sont sereines. Ne vous faites point accuser d’ambition personnelle. On suppose toujours que la passion politique cache cette arrière-pensée chez les hommes. Enfin, écoutez-moi, je vous le demande, sans craindre que vous m’accusiez de présomption. J’ai pour moi l’enfance de l’âme et la vieillesse de l’expérience. Mon cœur est tout entier dans ce que je vous dis ; quand vous me connaîtrez tout de bon, vous saurez que vous pouvez vous confier aveuglément à l’instinct de ce cœur-là.

On m’a beaucoup conseillé de me cacher aussi ; mes amis m’ont écrit de Paris que je serais arrêtée. Je n’en crois rien et j’attends. Je ne suis pas très en sûreté non plus ici. Les bourgeois ont fait accroire aux paysans que j’étais l’ardent disciple du père Communisme, un gaillard très méchant qui brouille tout à Paris et qui veut que l’on mette à mort les enfants au-dessous de trois ans et les vieillards au-dessus de soixante. Cela ressemble à une plaisanterie, c’est pourtant réel. Hors de ma commune, on le croit et on promet de m’enterrer dans les fossés. Vous voyez où nous en sommes. Je vis pourtant tranquille, et je me promène sans qu’on me dise rien. Jamais les hommes n’ont été si fervents… en paroles. Mais quelle lâche et stupide éducation les habiles donnent aux simples !

Bonsoir ! cachez-vous encore. Vous n’auriez rien à craindre d’une instruction ; mais on vous ferait perdre