Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 3.djvu/331

Cette page a été validée par deux contributeurs.
328
CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Mon ami, fâchez-vous contre moi tant que vous voudrez. Pour la première fois, je vais vous faire un reproche. Vous avez mal fait de provoquer ce crime commis envers vous. Vous voyez, je ne mâche pas le mot, c’est un crime, s’il est vrai qu’on vous accuse de lâcheté, de trahison, d’ambition même.

J’ai la conviction, la certitude que vous ne savez ce que c’est que l’ambition personnelle, et que votre âme est sainte dans ses passions et dans ses instincts comme dans ses principes. On ne peut, sans être en proie à un accès de folie, douter de la pureté de votre caractère. Mais n’est-ce pas une faute, une faute grave de provoquer un accès de folie chez son semblable, quel qu’il soit ? Ne deviez-vous pas prévoir cette réaction de l’orgueil blessé, du patriotisme saignant, de la doctrine intolérante si vous voulez, chez des hommes qu’une défaite épouvantable, l’abandon du pays, vient de frapper dans ce qui faisait tout leur être, toute leur vie ? Était-ce le moment de retourner sans pitié le fer dans la plaie et de leur crier : « Vous avez perdu la France ! »

Vos reproches vous paraissent si justes, que vous regardez comme un devoir de les avoir exprimés, en dépit de la solidarité qu’il eût été beau de ne pas rompre violemment au milieu d’un désastre horrible, en dépit du sentiment chrétien et fraternel qui devrait dominer tout dans le parti de l’avenir, en dépit enfin des convenances politiques qui défendent de montrer ses plaies au vainqueur, avide de les regarder et d’en