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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

mieux. Je crois que, là, vous pouvez faire beaucoup de bien ; car vous avez de la conscience, vous êtes pur, incorruptible, sincère, honnête dans toute l’acception du mot en politique, je le sais maintenant ; mais qu’il vous faudrait de force, d’enthousiasme, d’abnégation et de pieux fanatisme pour être en prose le même homme que vous êtes en vers ! Non, vous ne le serez pas ; vous craindrez trop l’étrangeté, le ridicule ; vous serez trop soumis aux convenances ; vous penserez qu’il faut parler à des hommes d’affaires comme avec des hommes d’affaires. Vous oublierez que, hors de cette enceinte étroite et sourde, la voix d’un homme de cœur et de génie retentit dans l’espace et remue le monde.

Non, vous ne l’oserez pas ! après avoir dit les choses magnifiques dont vos discours sont remplis, vous viendrez, avec votre second mouvement, — ce second mouvement qui justifie si bien l’odieux proverbe de M. de Talleyrand, — calmer l’irritation qu’excitent vos hardiesses et passer l’éponge sur vos caractères de feu. Vous viendrez encore dire comme dans vos vers : « N’ayez pas peur de moi, messieurs, je ne suis point un démocrate, je craindrais trop de vous paraître démagogue. » Non, vous n’oserez pas !

Et ce n’est pas la peur des âmes basses qui vous en empêchera ; je sais bien que vous affronteriez la misère et les supplices ; mais ce sera la peur du scandale, et vous craindrez ces petits hommes capables qui se posent en hommes d’État et qui diraient d’un air dé-